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moins sous l’empire, d’un usage très répandu. Perse a dit, avec sa concision habituelle

« Je suis libre. — Toi, libre, forcé de subir tant de jougs ! La dure servitude ne te contraint pas ; rien, au dehors, n’a le pouvoir e’agiter les fils qui te meuvent. Qu’importe ? Si des maîtres naissent au dedans de toi, et au fond de ton foie malade, ta condition en est-elle meilleure ? »

… Servitium acre
Te nihil impellit, nec quidquam extrinsecus intrat,
Quod nervos agitet ; sed si intus et in jecore aegro
Nascuntur domini, qui tu impunitior exis[1] ?

Les marionnettes ont été, surtout pour l’empereur Marc-Aurèle, le sujet de réflexions très remarquables. Dans six ou huit de ses pensées, il exhorte l’homme à opposer sa ferme volonté aux passions qui le tirent et le font mouvoir comme par des fils[2]. Je suis surtout frappé d’un passage où il fait au sujet de la mort cette remarque toute chrétienne : « La mort met fin à l’agitation que les sens communiquent à l’ame, aux violentes secousses des passions et à cette triste condition de marionnette où nous réduisent les écarts de la pensée et la tyrannie de la chair[3]. »

Pétrone, dans le tableau si vivement tracé du fameux festin de Trimalcion, introduit, vers la fin de l’orgie, un esclave qui apporte et expose sur la table une larve d’argent si habilement travaillée, que ses souples vertèbres et la chaîne de ses articulations mobiles (catenatio mobilis, comme il le dit si bien) permettaient de lui faire prendre, quitter et reprendre toutes les attitudes d’un acteur pantomime[4]. Il est impossible de ne pas reconnaître, dans la présence de cette marionnette lémurique, un double souvenir des momies convivales égyptiennes et de l’admission de la névrospastie dans les fêtes et les banquets d’Athènes. Mais Pétrone n’a-t-il voulu présenter dans cet épisode qu’un fait exceptionnel, un caprice de Trimalcion ? ou devons-nous voir dans ce passage l’indice d’une coutume établie dans les réunions aristocratiques de Rome ? Je n’oserais le décider. Je n’éprouve point la même hésitation à reconnaître l’existence, à Rome et dans les provinces, des marionnettes populaires. Les témoignages à cet égard ne e manquent point. C’est dans la bouche d’un homme de la dernière classe, dans celle de son propre esclave, qu’Horace a placé ces deux

  1. Pers., Sat. V, v. 128-131. .
  2. Marc. Antan, De se ipso, lib. II, §2 ; — lib. III, § 16 ; -lib. VI, § 16 ; -lib. VII, § 29 ; — lib. X, §38 ; — lib. XII, § 19.
  3. Id., ibid., lib. VII, § 28.
  4. Petron., Satyric., cap. XXXIV.