Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/982

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soit ambulans, d’où ils tiraient de bonnes recettes. À un des convives qui lui demandait de quoi il pensait avoir le plus à se réjouir, « c’est, répondit le joueur de marionnettes, de ce qu’il y a des sots dans le monde, car ce sont eux qui me font vivre en venant en foule au spectacle de mes pantins[1]. »

Et non-seulement il y avait à Athènes, du temps de Sophocle, des théâtres de marionnettes, où courait le peuple, comme il y en eut à Paris du temps de Corneille et de Molière, et à Londres du temps de Shakspeare et de Ben Jonson ; mais les Athéniens s’éprirent d’un tel engouement pour ce spectacle, surtout après la décadence de la choragie et la compression du théâtre par la faction macédonienne, que les archontes autorisèrent un habile névrospaste à produire ses acteurs de bois sur le théâtre de Bacchus. Athénée, dans son Banquet des Sophistes, fait honte au peuple d’Athènes d’avoir prostitué aux poupées d’un certain Pothein la scène où naguère les acteurs d’Euripide avaient déployé leur enthousiasme tragique[2].

À Rome, où dominait le goût de la réalité en tous genres, nous ne trouvons pas un penchant aussi vif pour cet ingénieux et idéal passe-temps. On peut, sans doute, recueillir dans les auteurs latins d’assez nombreuses allusions aux marionnettes, mais ces allusions sont moins détaillées, moins bien senties, moins affectueuses, si je l’ose dire, que celles qui se trouvent si fréquemment dans les écrivains grecs. La langue latine n’a pas même un mot propre pour désigner les marionnettes ; il faut, pour parler de ce petit peuple, recourir à des périphrases : Ligneoloe hominum figurœ… Nervis alienis mobile lignum… Lorsqu’un auteur latin veut n’employer qu’un mot, il hésite entre plusieurs, qui tous ont une acception primitive mieux accréditée et plus générale, tels que pupœ, sigilla, sigillaria, sigilliola, imagunculœ, homunculi[3]. Cependant on ne peut douter que les Romains, surtout depuis qu’ils se furent mis en contact avec les civilisations étrusque et grecque, n’aient appliqué la statuaire mobile à des récréations populaires et domestiques. Dans toutes les contrées de l’Italie où l’on a fouillé des tombeaux d’enfans, on y a rencontré, parmi d’autres jouets, des pantins mobiles d’os, d’ivoire, de bois et de terre cuite. À Corneto (l’antique Tarquinia), un hypogée a fourni six de ces sarcophages, où -se trouvaient plusieurs marionnettes de terre cuite[4] ; mais ce qui

  1. Xénoph., Sympos., cap. IV, § 55.
  2. Athen., cap. XVI, p. 19, E.
  3. Lorsque Marc-Aurèle, qui fait de si fréquentes allusions aux marionnettes, emploie le mot sigillaria pour les désigner, il l’écrit en lettres grecques, et en détermine le sens par l’addition du mot νευροςπαςτόυμενα Lib. VII, § 3.
  4. Voy. Melch. Fossati, Annal. dell’ Instit. archeolog., t. I, p. 122, et M. Raoul Rochette, Troisième mémoire sur les antiquités chrétiennes des catacombes, dans le XIIIe volume des Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2e partie, p. 625.