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les vivantes et expressives statues des artistes d’Égine et d’Athènes, a été réduite de bonne heure à n’être qu’un amusement pour les riches et un passe-temps pour le peuple. On conserva sans doute avec respect, dans les anciens sanctuaires, les idoles à ressorts de Dédale et des sculpteurs de son école ; mais on cessa d’en façonner de nouvelles dans ce système. Les statuettes que l’on continua d’appeler dédaliennes étaient tout autre chose. Ces petites figures avaient, dit-on, besoin d’être attachées et retenues par un lien pour ne pas se mettre d’elles-mêmes en mouvement et s’échapper. Socrate, dans l’Euthyphron, les compare aux écarts évasifs et aux divagations sans règles d’une philosophie dépourvue de principes fixes et arrêtés[1]. Ces petits objets, sortes de lares populaires, devinrent si communs, que du temps de Platon il n’y avait presque aucune demeure athénienne qui ne possédât quelques-uns de ces protecteurs domestiques[2].

Lorsque, affranchies de la tutelle sacerdotale, la géométrie et la mécanique eurent pris rang parmi les sciences, elles ne dédaignèrent pas de payer tribut à la passion des Grecs pour les jeux et les plaisirs. Deux illustres mathématiciens, Archytas de Tarente et Eudoxe, se plurent, suivant l’expression de Plutarque, à égayer et à embellir la géométrie en lui faisant produire quelques applications usuelles et même récréatives[3]. Le philosophe Favorinus d’Arles, contemporain d’Hadrien, très judicieux appréciateur des travaux de l’antiquité, nous a transmis, avec de précieux détails, le souvenir d’une invention d’Archytas, laquelle était bien propre à étonner et à divertir la foule. C’était une colombe de bois qui volait. L’impulsion, dit Favorinus, était donnée à ce volatile artificiel par une certaine quantité d’air qui le remplissait intérieurement ; mais, quand il était tombé, il ne reprenait plus son vol, ne pouvant se soutenir que pendant un temps déterminé, ni parcourir au-delà d’un certain espace[4]. La cause motrice n’est pas ici fort difficile à deviner. Il est très probable (quoique la remarque, je crois, n’en ait pas encore été faite) que l’air qui remplissait l’intérieur de la colombe était, sinon un gaz, au moins, comme dans nos premières mongolfères, de l’air raréfié par la chaleur, et qui, rendu ainsi plus léger que l’air atmosphérique, déterminait l’ascension. Il était dans le tour et la nature du génie grec de donner à ce premier essai des aérostats les formes et les apparences de la vie avec une sorte d’intérêt merveilleux et dramatique.

  1. Plat., Euthyphr., p. 8 et 11, edit. Francofurt.
  2. Id., Men., p. 426.
  3. Plutarch., Marcell., cap. 14.
  4. Aulus Gell., Noct. Attic., lib. X, cap. XII. – Il est question de la colombe volante d’Archytas dans une dissertation de Schmidt von Helmstadt (De Archyta, Iena, 1682) que je n’ai peint vue.