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que l’on pouvait lui faire hausser ou baisser à volonté, en tirant un fil. Le musée de la ville de Leyde possède un jouet de bois à peu près pareil et d’un travail presque aussi négligé ; c’est également un ouvrier courbé, ayant les bras et les hanches à jointures mobiles. On pouvait, au moyen d’un fil, lui faire imiter le va-et-vient d’un buandier qui lave ou d’un mitron qui pétrit. Le même établissement conserve un petit simulacre de crocodile[1] dont la mâchoire inférieure pouvait s’ouvrir et se fermer, comme celle du Manducus romain ou de nos papoires. Ces simples hochets, tous découverts dans des cercueils d’enfans, et qui n’ont, au point de vue de l’art, pas plus de valeur que les joujoux d’Allemagne, dits de Nuremberg, peuvent cependant faire supposer qu’il existait en Égypte d’autres objets analogues et d’un meilleur travail, destinés à l’amusement des adultes. Je crois d’autant plus à la vérité de cette conjecture, qu’il existe et que j’ai pu voir quelques marionnettes de travail égyptien incomparablement moins imparfaites que les jouets dont je viens de parler. Je citerai, entre autres, une poupée de bois publiée par M. Wilkinson dont l’exécution est fort soignée[2] ; elle représente une femme nue ; il lui manque les deux jambes, qui s’articulaient aux genoux, et qui seules, si la gravure est exacte, paraissent avoir été mobiles. Mais la plus jolie de toutes les marionnettes égyptiennes que j’aie vues est une figurine d’ivoire entièrement nue et du sexe féminin. M. Charles Lenormant l’a rapportée de Thèbes, où il l’a achetée en 1829 de la femme d’un fellah ; elle a été trouvée à Gourna, dans le tombeau d’un enfant, avec d’autres objets d’une très haute antiquité[3]. Le bras, la jambe et la cuisse qui subsistent sont finement articulés à l’épaule, à la hanche et au genou. Cette charmante statue aurait été certainement très digne de figurer à Thèbes parmi les jeux d’une fête aristocratique, et même sur la scène plus étendue d’un théâtre public ; mais je dois convenir qu’aucun texte, ni même aucune des nombreuses peintures sépulcrales qui nous ont révélé tant de curieuses particularités sur la vie et les coutumes des anciens habitans de l’Égypte ne nous autorise à penser qu’ils aient jamais eu de théâtres de marionnettes, soit dans les réunions privées, soit dans les réjouissances publiques. Nous ne trouvons donc, avec certitude, la statuaire à ressorts employée en Égypte que dans les cérémonies du culte et les jeux de l’enfance.

Il n’en a pas été de même en Grèce. Dans cette contrée, patrie véritable des arts, la statuaire mécanique, promptement déchue de tout sérieux prestige, et presque aussitôt remplacée dans les temples par

  1. M. Wilkinson (ibid., p. 427) a fait graver ces deux joujoux.
  2. Id., ibid., p. 426.
  3. M. Lenormant a rapporté encore une autre petite poupée égyptienne, faite d’étoffe, trouvée aussi à Gourna dans un cercueil d’enfant.