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(s’il l’eût été du moins pour quiconque eût su voir) que les diverses méthodes employées jusque-là pour établir l’ordre n’avaient plus cette fois la puissance de triompher des dissensions, il ne l’était pas moins que les sages du jour n’avaient encore imaginé aucun nouveau talisman pour construire une société. « J’entends, avait dit Jacques Ier, qu’il n’y ait qu’une seule doctrine, une seule discipline, une seule religion comme substance et comme forme. » Son successeur n’avait pas eu d’autre politique, et, quand une révolution eut répondu à ses prétentions, le parlement ne sut que l’imiter, décréter, comme lui, une orthodoxie, en substituant l’absolutisme d’une convention à celui d’un roi.

Dès ses premières séances (1er décembre 1641), le parlement déclarait « qu’il n’entendait pas permettre aux individus et aux congrégations particulières d’adopter telle forme de culte qui pourrait leur plaire, » et un de ses derniers actes, en 1648, fut de voter une longue liste d’hérésies et d’erreurs, qu’il était défendu de professer, les premières sous peine de mort, les secondes sous peine d’emprisonnement jusqu’à rétractation. Cette liste embrassait à peu près toutes les opinions des sectes opposées au calvinisme. Quant aux presbytériens, aux Écossais surtout, leur intolérance furibonde est proverbiale. De fait, dans la lutte engagée, il ne s’était pas agi un seul instant de liberté jusqu’au coup d’état de Cromwell. Le parti royaliste prétendait que c’était à la couronne et aux évêques qu’appartenait exclusivement le droit de déterminer ce que tous devaient être tenus de croire et pratiquer ; les presbytériens réclamaient précisément le même droit pour leurs synodes, et le parlement, de son côté, le disputait au presbytériat et à la royauté pour se le réserver à lui seul. Tous d’ailleurs étaient d’accord pour proclamer que la première nécessité était de punir sans pitié les hérésies ; tous croyaient, comme nos communistes le croient encore, que l’art d’organiser une nation était simplement l’art d’organiser l’absolutisme d’une doctrine, d’un système unique. La sagesse du passé n’était pas allée plus loin. Une autorité pour formuler des principes généraux, la théorie abstraite du légitime et de l’illégitime, une force publique pour l’imposer à tous dans toutes ses conséquences, tel était le seul moyen qui eût encore été mis en usage pour associer entre eux des hommes. L’empire universel des Romains, la monarchie absolue, les monastères, le catholicisme papal, la religion du renoncement, n’étaient qu’autant de variations d’un même type, autant de combinaisons destinées à empêcher les individus de s’entre-choquer en les empêchant de différer d’opinions et de se diriger eux-mêmes. On avait rêvé autre chose ; on n’avait rien pu faire de mieux, sans doute parce que les hommes n’étaient point encore en état de différer d’opinions sans se mépriser et s’attaquer l’un l’autre.