qu’apportent les députés montagnards, et qui sont signées Dieu sait par qui et Dieu sait comment ! Toujours la menace de l’insurrection ! Si l’assemblée ose voter la loi, on lui déclare qu’elle sera déchue. Et qui donc casse ainsi les décisions de l’assemblée nationale et l’assemblée nationale elle-même ? Quel est donc le Louis XIV qui, le fouet à la main, s’en vient suspendre les délibérations du parlement ? Le premier grimaud venu se fait pour un instant greffier de la démagogie, et, parlant au nom du peuple, croit pouvoir traiter de haut tous les pouvoirs de l’état. Tout le monde de nos jours croit avoir le droit de mépriser, et le mépris, qui naguère descendait de haut, rejaillit insolemment d’en bas. Rien ne témoigne mieux de la décadence morale de la société que cette usurpation du mépris. N’avons-nous pas entendu dernièrement M. Nadaud dire qu’il méprisait le discours de M. Thiers, et dire cela à la tribune, sans qu’il y ait eu un éclat de rire universel dans l’assemblée, en voyant M. Nadaud dédaigner M. Thiers ? et le pis, c’est qu’en parlant ainsi de son mépris pour le discours de M. Thiers, M. Nadaud croyait dire quelque chose. Il ne se croyait ni digne de risée ni digne de pitié. Voilà un des malheurs des vieilles civilisations. Le langage de l’élite s’y prostitue à toutes les bouches. Sénèque aussi de son temps se plaignait du droit que les sots s’arrogeaient de mépriser, et disait énergiquement qu’il fallait mépriser ces mépris insolens. Les mots d’estime et de mépris ne valent que ce que vaut l’homme qui s’en sert.
M. Thiers ne s’est pas trouvé outragé par le mépris que M. Nadaud faisait de son discours, et l’assemblée non plus ne se trouve pas blessée par les menaces de déchéance que lui lancent à la tête les pétitionnaires de la démagogie ; mais M. Léon Faucher n’en a pas moins eu raison d’infliger à ces vaines menaces le châtiment de la publicité : il les a tramées à la lumière du jour, et son résumé énergique et ferme répond à son rapport. Il a terminé la discussion avec les mêmes sentimens qu’il l’avait ouverte, et ces sentimens, l’assemblée tout entière les a manifestés pendant cette grande discussion. Jamais, en effet, nous n’avions vu le parti modéré sachant si bien ce qu’il voulait et ce qu’il pouvait. Les chefs de la majorité ont été hardis et résolus ; mais l’armée tout entière a, sous leurs ordres, marché comme un seul homme. Avant même l’ouverture de la discussion, cette heureuse disposition de la majorité s’était révélée d’une manière significative. On se souvient que le ministre de l’intérieur avait cru devoir, conformément à la loi, retirer le brevet d’un imprimeur qui se trouvait en contravention avec les règles de sa profession. La montagne attaquait cet acte du ministre, et M. Baroche le défendait avec l’énergie de caractère et la précision de langage qui ont fait son grand et légitime succès dans l’assemblée. Personne n’hésitait dans la majorité à approuver la mesure prise par M. Baroche ; mais il fallait quelqu’un qui dit qu’on n’hésitait point, il fallait que dans cette campagne qui allait s’ouvrir contre la montagne, le ministre fût sûr d’avance du zèle de la majorité. Un des plus généreux esprits de la majorité, M. Piscatory, qui a une parole piquante et vive au service de nobles sentimens, comprit qu’il ne s’agissait pas là d’une question de légiste, mais d’une question politique, et qu’un ministre qui se dévoue hardiment à l’ordre a droit à quelque chose de plus qu’un bill d’indemnité. Aussi M. Piscatory n’hésita pas, en son nom et au nom de ses amis, à promettre au ministre l’énergique et constant appui de tous les hommes de cœur : ce fut l’ouverture de la guerre, et c’en fut aussi l’augure.