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En même temps que la politique du parti modéré prenait cette allure décisive et ferme, le parti montagnard reculait chaque jour davantage, et l’on peut dire aujourd’hui sans présomption qu’il est en pleine retraite sur toute la ligne. Cette métamorphose a été rapide ; cependant elle a eu ses phases. Au premier moment, et quand on a annoncé la réforme électorale, ce furent de la part de la montagne des cris de colère et de défi. Les journaux du socialisme se mirent à discuter ardemment de quelle manière il fallait résister à l’audace des réformateurs du suffrage universel. Les uns voulaient une insurrection rapide et soudaine ; il fallait foudroyer leurs ennemis. D’autres, qui croyaient sans doute que les foudres de la montagne étaient plus bruyans que puissans, voulaient une résistance lente et systématique. Peu à peu cette opinion prévalut dans la montagne, qui se décida à n’être pas un volcan, voyant qu’elle n’avait pas de quoi suffire à l’éruption. On déclamait toujours, on criait, on menaçait, mais au fond on avait peur d’être battu dans la rue, battu d’une manière irréparable, et on s’est décidé à perdre son procès dans l’assemblée plutôt qu’à perdre la bataille sous les coups du général Changarnier. Voilà la vérité sur la prudence de la montagne. Dans les délibérations secrètes du parti socialiste, la froide et ferme figure du général Changarnier est souvent apparue comme une vision terrible et prophétique. C’est ainsi que, reculant peu à peu et se convertissant lui-même à la prudence qu’il prêchait, le parti socialiste en est arrivé jusqu’au discours de M. de Flotte, qui est la capitulation habile et mesurée du parti et la démission de l’émeute. Les soldats ratifieront-ils la capitulation du général ? C’est encore une question ; mais nous croyons que les soldats aussi céderont, tout en disant que leurs chefs les ont trahis.

M. de Flotte, qu’il l’ait voulu ou qu’il ne l’ait pas voulu, qu’il ait fait un calcul ou qu’il ait senti et expliqué mieux que ses collègues de la montagne les conseils de la nécessité, M. de Flotte s’est fait par ce discours une situation dans l’assemblée il a profité de sa réputation, mais en sens contraire, ce qui arrive souvent. On attendait un énergumène ; son sang-froid a paru de la modération, et comme ce n’était pas un ogre, on a été tout près d’en faire un homme d’état et un politique. M. de Flotte est disposé à attendre. Son parti ne lui pardonnera guère cette quiétude de désirs, et nous offririons presque de parier que le prochain discours de M. de Flotte sera violent, afin de racheter ses torts de sagesse, à moins que M. de Flotte ne soit un homme de tête au lieu d’être un homme de parti. Quoi qu’il en soit, M. de Flotte déclare que le parti socialiste ne saurait, à l’heure qu’il est, que faire du pouvoir ; il se souvient du parti républicain, qui n’a échoué dans le gouvernement provisoire que parce que, comme l’a dit M. Goudchaux à la tribune en 1848, la république est venue trop tôt. M. de Flotte ne veut donc pas que le socialisme vienne trop tôt : les républicains n’ont pas pu gouverner, parce que la société n’était pas républicaine, et les socialistes non plus ne pourraient pas gouverner, parce que la société n’est pas socialiste.

Nous avons voulu constater l’état général des choses, c’est-à-dire l’allure ferme et décisive du parti modéré, qui a pris résolûment l’offensive, et l’allure timide et incertaine du parti montagnard, qui recule non-seulement plus qu’il ne le dit, mais encore plus qu’il ne le croit ; nous avons voulu, dis-je, constater ce fait, parce qu’il est important et plein d’avenir, parce qu’il rend la sécurité