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Tous ceux qui de tes jours orageux et sublimes
S’approchent sans effroi
Reviennent en disant qu’ils ont vu des abîmes
En se penchant sur toi !


J’ai cherché si l’abîme était réellement aussi noir que le croyaient beaucoup de bonnes gens ; je me suis dit :

Mais peut-être à travers l’eau de ce gouffre immense
Et de ce cœur profond
On verrait cette perle appelée innocence
En regardant au fond.


J’ai regardé de mon mieux, et en effet il m’a semblé d’abord qu’il y avait là cette grande innocence d’apporter dans la politique la pure doctrine de l’art pour l’art et de prendre les choses d’état pour des matières de vers. Il m’est survenu cependant un scrupule qui m’a donné à penser que cette innocence pourrait bien ne pas être aussi complète que l’on serait enclin à se le figurer. Le scrupule est encore sorti du malencontreux fragment de mon vieux journal. Voici comment parlait alors l’historien de cette glorieuse séance académique, le jeune et consciencieux auteur de Tragaldabas, très au courant des maximes de M. Hugo, le tout à propos d’une certaine conduite que celui-ci avait jugé bon de tenir : « Le poète qui a écrit la préface de Cromwell n’est pas un poète naïf ; il sait parfaitement où il va. Et ce que je dis de lui, je pourrais le dire de notre temps. Nous ne sommes plus dans une de ces époques primitives, s’il y en a jamais eu, où l’on vit à tâtons. Rien ne nous prend tout entiers. Dans nos effusions les plus spontanées, il y a toujours une portion de nous qui demeure calme et qui assiste tranquillement à toutes nos émotions. Il se passe en noua, quelque chose de semblable à ce qui se passe aux Italiens, quand la Grisi, applaudie à outrance, s’interrompt au beau milieu d’un air éploré pour faire la révérence à l’orchestre et aux loges. M. Victor Hugo est comme son siècle. » Ces curieux apophthegmes m’ont induit à examiner si M. Hugo n’avait pas quelquefois aussi distribué de ces révérences raisonnées jusque dans l’accès le plus lyrique de ses inspirations les plus fatales. M. Hugo montrait lui-même l’autre jour tant de mépris pour « les révolutionnaires de l’espèce naïve, » que nous sommes bien un peu autorisé à croire qu’il n’en est pas, n’en sera jamais, et n’a jamais enfin mis beaucoup plus de cette moquable naïveté dans les attitudes très diverses auxquelles il avait auparavant plié sa muse. Ces attitudes étaient assurément très passionnées, très majestueuses ; je crains maintenant que cette passion ne les empêchât point toutes d’être en même temps très calculées. Je m’en rapporte derechef à mon antique journal ; c’est encore le critique en question, le critique