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sa personne, et il transporte au milieu du monde les chimères de sa solitude.

Les écrivains d’imagination ne feront donc jamais rien qui vaille et ne vaudront pas mieux par leur conduite que par leurs œuvres, lorsqu’ils ne seront point en même temps des écrivains sensés. Le sens a été la qualité distinctive de notre littérature dans nos beaux âges littéraires ; le sens est l’honneur et la force du génie français. Quel noble plaisir n’est-ce pas encore d’échapper un instant à tout notre gâchis de paroles en ouvrant ces livres si pleins de choses, où l’on salue de page en page des esprits mûris par la réflexion, qui ne disent que ce qu’ils ont à dire, qui le disent nettement, parce qu’ils ne diraient pas ce qui ne serait pas pour eux une pensée claire et un point déterminé, des esprits substantiels qui ont digéré ce qu’ils savent, des esprits honnêtes qui se respectent et ne s’adorent pas ? Voici quelque vingt ans que la vogue n’est plus à des mérites si exquis. L’imagination, mais une imagination sans lest et sans frein, s’est ruée sur le champ des lettres et l’a presque tout encombré de ses dévergondages. Les anciennes qualités de notre terroir, la rectitude, la simplicité, la mesure dans la verve, la verve elle-même, franche et gauloise, ont été fastueusement dénigrées. On a proclamé qu’il n’y avait que des intelligences étroites pour se suffire avec un si maigre patrimoine ; on s’est vanté de ne pouvoir satisfaire à si peu de frais ses appétits d’idéal. Romanciers et dramaturges nous ont signifié dans leur jargon que le poète contenait en lui tout un univers, d’où tombaient mille sources vivifiantes sur la foule altérée, qui n’avait plus désormais qu’à s’abreuver en criant : Grand merci ! Le poète est ainsi devenu un être exceptionnel ; le poète possède en lui des trésors mystérieux de philosophie et de sentiment ! Quand il contemple le cours des destinées humaines, il plonge dans des profondeurs à lui seul pénétrables :

Au profond de l’abîme il nagea seul et nu,
Toujours de l’ineffable allant à l’invisible ;
Soudain il s’en revint avec un cri terrible, etc.


J’allais, je crois, continuer la ritournelle ! je ne puis m’empêcher de m’écrier : O sancta simplicitas !

Que de pauvretés pourtant sous l’étalage de nos modernes inventeurs ! Qu’ils ont été mal servis par leur prétention de tout jeter en bloc, de tout créer d’instinct, et combien cette prétention même n’est- elle pas menteuse ! Ces dieux créateurs, ce sont des érudits de première force en matière de bric-à-brac, des pédans de linguistique, des botanistes qui ont appris par cœur la flore des bois et des jardins afin d’en émailler leurs livres. Ils savent admirablement tout le matériel