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transplanter sans dommage de la sphère commode des sons et des mots sur le terrain ardu des choses, sans dommage soit pour les gloires qui risquaient le saut, soit pour le public qui en payait les frais. Toute l’explication que j’ai maintenant à fournir sur la plus récente des attitudes politiques de M. Victor Hugo, sur la mine révolutionnaire avec laquelle il se fait voir aujourd’hui, c’est qu’elle relève essentiellement des lois psychologiques qui régissent la famille entière des Olympios je dis et je répète la famille, car M. Sue, par exemple, est un Olympio comme un autre ; il a tous les principaux traits du genre, n’en déplaise à l’Olympio plus grandiose qu’une parenté si vulgaire ne doit pas excessivement flatter. Quelles sont maintenant les origines, quels sont les caractères du genre lui-même ? Nous sommes tenus de ne pas l’ignorer, pour peu que nous veuillons admirer en connaissance de cause l’individu le plus remarquable qu’il ait produit. C’est ici un épisode important dans l’histoire naturelle de notre littérature, et ce n’est pas une digression dans l’histoire particulière de M. Hugo.

Le propre des ouvrages d’imagination est de s’emparer d’abord de leur auteur et de fasciner, avant toutes les autres, l’intelligence même qui les crée. Il faut que le romancier, bon ou mauvais, soit saisi et comme charmé par le prestige de ses fictions, pour que le lecteur éprouve à son tour quelque effet du même charme. Si la fiction est naturelle, si elle est une contre-épreuve de la vie réelle finement et profondément étudiée, l’esprit du poète n’a rien à craindre de ses songes ; ils ne le raviront point jusqu’à perdre terre, et la solidité de son jugement, entretenue par l’habitude de l’observation, le préservera de toute fantasmagorie pernicieuse. Shakspeare et Molière, Cervantes et Fielding ne furent pas seulement de très grands trouveurs : c’étaient des hommes de tous les jours qui avaient le sens droit et la raison saine. Les aventures de jeunesse ne leur durèrent pas plus que la jeunesse même. Le divin William s’en retourna vivre en paix sous l’humble toit de la vieille maison paternelle aussitôt qu’il fut assez riche pour la racheter ; il ne s’avisa point de régler son existence sur le modèle des merveilleuses destinées de ses héros ; il laissa ses héros dans leur ciel, et sut en redescendre à temps pour habiter les bords obscurs de l’ Avon. Si la cervelle du trouveur n’est au contraire qu’une caverne vide où tourbillonnent seulement de creuses rêveries et de malsaines fumées ; s’il prend pour des idées le fracas stérile de bruits et de couleurs auquel il se complaît au dedans de lui-même ; s’il n’a pour alimenter ses fables que les suggestions maladives d’une sorte d’ivresse artificielle, ses fables achèvent de le griser. Les extravagances dont elles débordent le poursuivent hors du cabinet où il en accouche ; tes hallucinations qu’il dépose sur le papier ne cessent pas de hanter