Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/920

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’empêcher d’y trouver des hardiesses bien compromettantes. Ce fougueux romantisme leur semblait presque une témérité du même genre que la république, et, avec l’instinct confus des masses, elles se figuraient apercevoir autour du front d’Olympio la sombre auréole des grands destructeurs. Aussi tout, ce monde-là fut-il peut-être d’abord un peu surpris, mais bientôt, comme de juste, enchanté quand il eut été une fois averti qu’il y avait l’étoffe d’un pair de France chez le dramaturge classique de la Porte-Saint-Martin. On pensa qu’il était corrigé de sa littérature, et cette résipiscence qu’on se plaisait à lui prêter eut à peu près l’air d’un ralliement politique. À la distance d’où le vulgaire entrevoit les héros, il était permis de supposer que c’était la faveur royale qui avait voulu aller au-devant du poète, et par conséquent il n’était pas permis de douter que la gratitude toute seule ne fît du poète un homme d’état très utile à la dynastie. Le noble manteau que la royauté lui jetait sur les épaules, le titre aristocratique dont il daignait se parer pour en mieux soutenir l’éclat, désignaient d’avance la place de M. Victor Hugo parmi les plus éminens conservateurs, de l’ordre de choses. Les esprits timorés que ses drames avaient beaucoup scandalisés et qui cherchaient naguère à dissimuler leur petitesse en reconnaissant du moins que l’auteur était assurément très fort, les scrupuleux et les vertueux proclamèrent à l’envi qu’un écrivain d’une si fière allure ne pouvait manquer de devenir tout de suite l’une des colonnes de cette société à laquelle on fabriquait, pour le quart d’heure, des étais de rechange.

Il y avait d’ailleurs en faction, sur les avenues du journalisme, deux ou trois trompettes qui suffisaient à les occuper toutes, tant ils se multipliaient, et qui, soufflant comme des tritons dans leurs conques, sonnaient fanfares sur fanfares pour annoncer le règne des idées qu’ils entendaient déjà bruire à travers le crime du maître. Or, ces idées planaient dans une sphère si sublime, elles touchaient si peu aux passions terrestres, elles avaient en si dédaigneuse pitié tout ce qui n’était pas elles, que, sans savoir beaucoup ce qu’elles étaient précisément elles-mêmes, on s’accordait à leur attribuer une transcendance des plus philosophiques. Le maître devait sans faute dominer tous les partis, et, dans la sereine lumière de ces régions supérieures, il ne trouvait plus avec qui se rencontrer, si ce n’est avec le roi, « le sage couronné, » comme en ce temps-là il l’appelait de sa propre bouche. À pareille rencontre, il n’y avait pas deux issues : le roi mettait un portefeuille sous le bras du génie, et le gros public d’applaudir. M. Victor Hugo a toujours eu l’obligeance de ne point paraître contrarié de cet horoscope, et, s’il ne le tirait pas lui-même, il avait soin pourtant de ne pas déranger les astres d’après lesquels on le tirait.

Que les bourgeois bien pensans qui avaient si magnifiquement auguré