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pommes de terre, d’un peu de maïs et de piment. Le bonheur pour lui, c’est de ne rien faire. Et comment en serait-il autrement ? Le travail ne s’est jamais révélé à lui par ses bienfaits. Tant que le territoire à peine peuplé du Pérou[1] ne s’ouvrira pas à des émigrans courageux, à des populations actives qui amèneront avec elles l’ordre et la prospérité, l’Indien restera plongé dans son morne abrutissement. Enveloppé dans son puncho, dormant au soleil pendant l’été ou au coin de son feu d’herbes sèches pendant l’hiver, il verra avec indifférence les jours se suivre, les saisons se succéder, et passera presque sans transition du sommeil de la vie au sommeil de la mort.

La fusion, l’alliance des races, telle est, on le voit, la condition de prospérité, de salut pour le Pérou, et une émigration européenne peut seule faciliter et activer cette fusion. Le tableau des mœurs de la côte et des montagnes a dû montrer combien l’esprit du Pérou est encore rebelle aux influences étrangères ; il ne reste donc qu’à insister sur les dangers que créent à la société péruvienne cet attachement irréfléchi au passé, cette contradiction si bizarre et si malencontreuse entre son état moral et son état politique. La révolution péruvienne, comme toutes les révolutions de l’Amérique du Sud, s’est faite au nom de deux sentimens en apparence contradictoires, le culte de l’indépendance américaine et le culte des idées de l’Europe moderne. Aujourd’hui l’un de ces deux sentimens tend à exclure, à étouffer l’autre : l’américanisme prétend régner seul et continuer à son profit le mouvement inauguré si glorieusement par l’émancipation des colonies espagnoles du Nouveau-Monde. Il faut espérer cependant que le pays comprendra mieux ses intérêts, et qu’il ne persistera point à ériger la haine des étrangers en dogme politique. S’il ne sait point accepter à temps l’influence européenne, il tombera, qu’il le sache bien, sous une influence plus redoutable et moins désintéressée : l’ouverture de l’isthme de Panama, en facilitant les relations du Nouveau-Monde avec l’Europe, agrandira aussi la puissance des États-Unis, et posera à l’Amérique, espagnole une grave question qu’elle doit se préparer à résoudre ; il dépendra d’elle de grandir librement avec le concours des émigrans européens, ou de voir son originalité disparaître devant les rudes pionniers de la race anglo-américaine. Entre ces deux alternatives, son choix ne saurait être douteux.


A. DE BOTMILIAU.

  1. Il ne compte que 1,800,000 habitans.