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née de la réaction des colonies émancipées du Nouveau-Monde contre le despotisme européen. Pourtant aucune race au Pérou ne devrait se montrer moins hostile à l’élément européen que la race métisse. Ce sont les idées libérales apportées de l’ancien monde dans le nouveau qui lui ont donné, avec le gouvernement républicain, une influence et un rôle politiques. Aussi ne s’explique-t-on pas l’étrange orgueil avec lequel les métis se proclament quelquefois descendans de Manco Capac et fils du Soleil. Cet orgueil est d’autant plus bizarre, que ces hommes, si fiers en apparence de leur origine indienne, affichent en même temps la prétention de frayer avec les blancs sur un pied d’égalité parfaite, et se composent très souvent une généalogie qui les ferait remonter aux premières familles espagnoles. Il y a là une faiblesse de l’esprit humain qu’on pourrait bien excuser, si l’intérêt politique du Pérou, l’intérêt des métis eux-mêmes, n’en souffraient pas. Les métis ne comprennent-ils donc pas qu’ils n’ont qu’un moyen de répondre dignement aux dédains de l’aristocratie blanche ? C’est de se poser en face des représentans de l’ancienne Espagne comme les amis et les représentans, si l’on veut, de la moderne Europe. L’émigration européenne, encouragée par les métis, fortifierait évidemment leur position politique, de même quelle améliorerait la condition matérielle des familles blanches. Un des premiers résultats de cette émigration serait de faire pénétrer un esprit plus franchement libéral dans la société du Pérou. L’histoire des révolutions de ce pays a montré quel désordre fâcheux y entretenait l’organisation vicieuse de l’armée. Des abus aussi graves que ceux dont l’armée péruvienne donne le triste, spectacle se retrouvent, il faut bien le dire, dans la magistrature et dans le clergé. Sous l’influence directe des idées européennes, ces abus ne tarderaient pas sans doute à disparaître, et, au lieu de magistrats trop souvent corrompus, de moines ignorans et superstitieux, le Pérou connaîtrait enfin des hommes dignes des austères fonctions du juge ou du prêtre.

Reste l’intérêt des populations indiennes, dont il importe aussi de tenir compte ; mais qui ne voit les avantages qu’elles retireraient de l’exemple et du concours d’une émigration laborieuse"et intelligente ? Aujourd’hui, sur un sol inculte et négligé, l’Indien mène une vie misérable, et cette race indolente ne connaît malheureusement les races supérieures que par les mauvais traitemens qu’on ne lui ménage guère. Ainsi, au moindre bruit de révolution, la presse vient arracher l’Indien à sa famille et l’entraîne de force dans les rangs de l’armée. Les mouvemens de troupes, si nombreux au Pérou, portent à chaque instant la dévastation dans ses champs ou dans ses troupeaux, quelquefois le pillage dans sa maison. L’Indien supporte tous ces maux avec une résignation, stupide. Naturellement sobre, il se contente de quelques