Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/915

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

juxta-posées. Plusieurs des couvens du Cusco, la préfecture et de nombreuses maisons sont bâtis sur des ruines indiennes ; mais le monument le plus curieux est la forteresse, appelée aujourd’hui le Rodadero : elle est bâtie sur une colline qui domine entièrement la ville. On monte au Rodadero par un chemin étroit et escarpé. Du côté du Cusco, on ne retrouve guère que quelques débris de l’ancienne forteresse ; du côté opposé, tous les fondemens existent encore et s’élèvent en plusieurs endroits à six ou huit mètres au-dessus du niveau du sol. La forteresse avait une triple enceinte, bâtie en amphithéâtre et à angles saillans, formée de pierres immenses, dont plusieurs n’ont pas moins de six mètres de haut sur deux de large : c’est une suite de grands blocs s’enchevêtrant en quelque sorte les uns dans les autres pour former une muraille indestructible au temps ; c’est réellement une œuvre gigantesque.

Comment, sans instrumens en fer, les Indiens sont-ils parvenus à tailler et à polir ces pierres, à les unir si parfaitement ? Comment, sans machines de la plus grande puissance, ont-ils réussi à transporter di : u fond des carrières voisines, à travers un ravin profond et une large rivière, des blocs énormes jusqu’au haut de la montagne du Rodadero ? Il est évident que la civilisation des Indiens du Pérou était, à l’époque de la conquête espagnole, infiniment plus avancée qu’on ne le croit généralement. Après avoir visité le Cusco, on s’explique mieux les traces profondes qu’elle a laissées dans la population péruvienne. On comprend alors mieux aussi le caractère mixte de cette société, où les mœurs espagnoles et les mœurs indiennes forment de si nombreux et de si étranges contrastes.


III

Cette société péruvienne, que nous avons observée dans les villes et dans les montagnes, dans les salons de Lima et dans les solitudes des Cordilières, se compose, on a pu le remarquer, de trois élémens distincts. J’écarte la race noire, qui n’a aucun rôle à revendiquer dans le mouvement social du Pérou. Il reste donc, pour représenter la nationalité péruvienne, trois groupes bien tranchés : les Espagnols, les métis et les Indiens. Ce que j’ai dit des villes de la côte a pu donner une idée des mœurs de la population espagnole et métisse ; ce que j’ai dit des montagnes a fait connaître la population indienne. Montrer les divisions sociales qui depuis la révolution du Pérou correspondent aux divisions de races, préciser l’état de lutte que l’émancipation a créé et chercher les moyens de le faire disparaître, ce sera compléter ce tableau de la société péruvienne en indiquant, à côté des causes de ses présens embarras, les conditions de sa prospérité future.