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de conservation non moins obstiné dans la vie sociale. Tandis que le pouvoir passe de main en main, et que les institutions croulent ou se relèvent avec une mobilité sans exemple, les mœurs restent ce qu’elles sont ; l’esprit de la société ne change pas. Il n’y aurait point à se plaindre de cette fixité sans doute, si les mœurs péruviennes étaient ce qu’elles doivent être, la dernière expression du progrès moral et intellectuel dont la proclamation de l’indépendance semblait avoir donné le glorieux signal. Rien malheureusement, dans ces mœurs, n’indique une ère de régénération ; tout y garde l’empreinte d’un passé qui est en désaccord formel avec la situation nouvelle où sont entrées les colonies émancipées par Bolivar. Moitié espagnole, moitié indienne, la civilisation péruvienne est un pittoresque, mais dangereux anachronisme, qui semble condamner à la stérilité toutes les tentatives de rénovation politique dont l’ancien empire des Incas est si souvent le théâtre. Aussi voit-on ces tentatives se multiplier à l’infini, sans apporter avec elles aucun des élémens de prospérité et de stabilité réclamés par le pays, et l’état d’enfance dans l’ordre moral a nécessairement pour contre-coup la fièvre révolutionnaire dans l’ordre politique.

Le spectacle des mœurs du Pérou n’est pas moins intéressant toutefois que celui de ses révolutions. Un pays où se conservent dans un bizarre mélange les coutumes de l’ancien empire des Incas et celles de l’ancienne Espagne a en quelque sorte un double titre à la curiosité du voyageur. Partout d’ailleurs, — dans les usages, dans les fêtes’ nationales, dans la vie domestique des Péruviens, — on démêle sans peine les causes qui retardent et entravent le développement de leur nationalité. Quand on a discerné ces causes, il devient plus aisé aussi de préciser dans quelle voie la société péruvienne doit marcher désormais, si elle tient à se rendre digne des grandes destinées que Bolivar avait promises aux républiques espagnoles.


I

La configuration même du Pérou a partagé la population de ce pays en deux groupes distincts : l’un a pour résidence les rares vallées de la côte, le bord des petites rivières qui les arrosent ; l’autre habite les montagnes qui séparent l’Océan Pacifique des grandes solitudes baignées par l’Amazone. Sur les côtes, c’est la civilisation espagnole qui domine ; dans’ l’intérieur, ce sont les mœurs indiennes qui ont le dessus. La population des côtes a toujours exercé, dans la république péruvienne, une influence prépondérante ; c’est elle qui doit nous occuper d’abord.

Toutes les villes du Pérou ont entre elles un air de famille, et Lima résume, dans son aspect demi-moresque, demi-espagnol, dans le caractère