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cette femme ! Et vous, mes frères, quand une telle fidélité et une telle foi me fortifient, pensez-vous que je puisse être faible ?

Ce passage et ceux qui précèdent peuvent donner une idée de ce qu’il y a, chez Mlle Toussaint, de ferme et de senti dans l’expression.

Comme je l’ai dit plus haut, l’auteur avait le projet de continuer son roman historique et d’y faire entrer le second séjour de Leicester en Hollande. Mlle Toussaint a ajourné l’exécution de ce dessein ; elle donne les raisons de ce changement dans une post-face (narede) dont je citerai quelques lignes en finissant, parce qu’elles expliquent l’intention générale de l’auteur, et aussi parce qu’elles respirent un sentiment d’honnêteté littéraire, et témoignent d’une intention sérieuse et patriotique qui doivent le recommander à l’estime de tous, comme elles lui ont mérité l’estime de ses compatriotes.

L’auteur explique comment, embarrassée entre son respect pour l’histoire et les besoins du roman, elle a dû, pour être fidèle à la pensée de son livre, différer l’accomplissement de sa promesse, car Mlle Toussaint n’a pas renoncé à une suite qu’elle compte donner après avoir fait encore de nouvelles études. Quant aux légères inexactitudes qu’elle s’est permises, elle déclare les avoir commises sciemment en usant de son droit de romancière. Elle se hâte d’ajouter : « On ne doit pas soupçonner que mon honnêteté (serlijkheid) m’ait permis de faire usage de ce droit quand ces changemens auraient pu avoir quelque influence sur l’appréciation des faits… Il ne faut pas croire que j’aie sacrifié à l’étude deux années de ma vie pour me traîner dans une ornière creusée par d’autres, et encore moins avec le but coupable de donner des impressions fausses à tout un peuple sur quelque chose d’aussi important que l’histoire de la patrie… Que mon but, mes voeux, ma direction, ne soient pas méconnus par mes concitoyens ! Puissent beaucoup d’entre eux avoir compris ma pensée et s’y unir ! Puisse cet ouvrage, être pour eux ce qu’il a été pour moi ! Tandis que je l’écrivais, j’ai invoqué sur lui la bénédiction du Seigneur avec une ferme foi qu’il ne le rejetterait pas, même si l’œuvre n’était pas bénie par l’art ; il m’a donné la force et le courage d’entreprendre cette œuvre et de la terminer. Aujourd’hui qu’elle est achevée, pourra-t-il lui refuser sa bénédiction ? »

Cette solennité étonnera le lecteur français. Nos auteurs n’ont pas coutume de parler ainsi au public en présence de Dieu, et de terminer un roman par une prière ; mais, ou je me trompe, ou ces lignes feront naître pour la femme qui les a tracées le respect qu’a inspiré la lecture de son ouvrage à celui qui vient d’en parler.


J.-J. AMPERE.