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des Hollandais pour les Brabançons. Toutes les nuances de la situation religieuse sont démêlées et retracées avec une connaissance profonde de l’époque, et souvent une grande finesse, depuis Barbara Boots, la dévote catholique, jusqu’à Douglas, le jeune protestant farouche. D’autres personnages intermédiaires sont placés à divers degrés sur cette échelle de croyances qui va du catholicisme le plus naïf au calvinisme le plus exalté. Il y a le prédicant Fraxinus, ambitieux et persécuteur ; il y a le vertueux Taco-Sijbrandz, honnête ministre d’une fraction dissidente. Le moment où celui-ci s’arrache à son petit troupeau pour demeurer fidèle à sa conscience a fourni à l’auteur une scène touchante. Celui qui veut obtenir de lui les concessions qu’il refuse dit à sa femme : Dame Sijbrandz, jetez-vous aux pieds de votre mari avec vos enfans innocens, et suppliez-le de rester.

— Oh ! qu’il reste, s’écrièrent tous en chœur les membres de la congrégation, ne songeant pas dans ce moment aux conséquences de cette parole. Conserver leur maître chéri semblait le plus pressé.

— Afin qu’il n’attire pas l’exil sur vous et sur lui, poursuivit Uitenbogaerd, et qu’il n’appelle pas sur vous le malheur et la pauvreté pour une chose de médiocre importance.

— Rien n’importe médiocrement quand il y va de la conscience, reprit Taco avec fermeté ; mais je ne veux pas, sans son consentement, livrer le sort de ma femme et de nos enfans à ce qui peut leur survenir. Marie ! prends ta résolution, sois une honnête servante de Dieu appelée à marcher en tête de son troupeau. Il faut choisir entre la paix du monde et la paix de la conscience. Quelle voie suivre ? quelle voie voulez-vous suivre avec celui qui est votre mari ?

Quel que fût le nombre des témoins de cette scène, soudain régna parmi eux un silence pareil à celui de la prière, tant ils comprirent tous en même temps qu’un tel choix devait se faire en priant, et comme si la femme de Taco n’avait pas assez de ses émotions, le sérieux de ce silence la gagna aussi. Abattue, incertaine, elle regarda le cercle muet qui l’entourait ; elle regarda aussi ses enfans, qui l’avaient suivie, et qui, voyant le recueillement des grandes personnes, avaient joint leurs petites mains. Elle leva ses regards sur Taco, qui baissait les yeux pour qu’elle n’y pût lire ni un ordre ni une prière ; elle tourna les siens tout remplis de larmes vers le ciel, et d’une voix faible, mais distincte, elle dit :

— La paix avec Dieu est ce qu’il faut d’abord chercher, et ce que votre sagesse a reconnu être la volonté et l’inspiration de Dieu, il faut le suivre, je crois, avec vous ! Ce qui nous arrive en cette voie pourra-t-il nous apporter dommage, à nous ou à nos enfans ?

— Non, certainement, non, cela est impossible. — Taco se leva et la serra tendrement sur son sein. — O Seigneur Dieu ! sois béni pour