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— Oui, milord, dit Daniel, qui n’était pas encore remis de son trouble.


La partie romanesque du livre est d’un intérêt un peu trop tempéré ; non que les héroïnes de Mlle Toussaint manquent d’exaltation, mais cette exaltation manque elle-même trop souvent de nuances. Martina, Jacoba, sont des personnages un peu trop tout d’une pièce. Ces caractères n’ont pas assez de relief et de cette individualité que donne, même à la passion et à l’enthousiasme le plus exclusif, la diversité des facultés humaines. Ces figures intéressantes sont dessinées un peu comme les personnages romanesques des tragédies de Schiller, d’après un type idéal et vague, plutôt que prises dans la nature et transportées vivantes dans le drame ou le roman, comme les créations de Shakspeare ou de Walter Scott.

Le héros de cette partie du roman est Sidney, personnage propre à jouer ce rôle s’il en fut. Quelle figure plus chevaleresque en effet pouvait se détacher plus gracieusement sur le fond sanglant des guerres religieuses et des discordes civiles que le jeune homme aimable et accompli qui, après avoir écrit une Arcadie pour sa sœur, vint mourir en héros devant Zutphen ? C’est dans ce livre, l’Astrée de l’Angleterre, que Mlle Toussaint a puisé l’idée des longs et tendres entretiens de Sidney avec l’intéressante Martina. Un homme d’armes du XVIe siècle écrivait volontiers ces langoureuses sentiment alités, mais ses passions étaient plus vives et plus franches. Rien n’est souvent moins semblable que la vie des hommes et leurs écrits. Sidney, dans le roman de Mile Toussaint, est un habitant de l’Arcadie ; j’imagine qu’il se bornait à en être l’auteur.

Le personnage de prédilection de Mlle Toussaint, celui dans lequel il semble qu’elle ait mis le plus de son ame, de son imagination, de sa rêverie, est la mélancolique Martina. Épouse négligée par un mari ambitieux et médiocre, elle se console en se livrant à un sentiment plein d’idéalité pour Sidney ; Sidney y répond par un sentiment plus idéal encore, et la pauvre Martina, froissée dans la réalité et blessée jusque dans ses rêves, retombe sur elle-même avec une profonde mélancolie ; mais cette mélancolie est douce, résignée, hollandaise : elle ne déclare point la guerre à la Providence et à la société ; elle se contente de souffrir et de gémir en silence. Martina est un peu parente de cette pauvre femme dont l’écrasement a été si admirablement tracé par une plume aujourd’hui brisée, dans un récit auquel il est permis de penser ici, car il s’appelle : Une Histoire hollandaise.

Décidément, ce qu’il y a de mieux, ce me semble, dans le roman de Mlle Toussaint, c’est l’histoire. La plume vigoureuse de l’auteur sait