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qui puisse être considéré comme l’équivalent même du plus éphémère des blockhaus. Une contrée où la nature semblait avoir tracé le plan d’un fort gigantesque et inexpugnable est devenue ainsi une vaste région inoffensive, que tout agresseur peut parcourir sans obstacle et occuper sans résistance sérieuse.

Les seules fortifications en Asie Mineure qui méritent en quelque sorte ce nom (et encore moins par ce qu’elles sont que par ce qu’elles pourraient devenir), ce sont les deux lignes de châteaux qui bordent des deux côtés le Bosphore et les Dardanelles. Les châteaux des Dardanelles sont au nombre de onze : six sur la côte d’Europe et cinq sur la côte d’Asie. Les forts de la côte d’Europe sont : 1° Settil-Bahar, 2° Namazian-Tabiassi, 3° Kilid-Bahar, 4° Dehermin-Bouroun, 5° Tchamly-Bouroun, et 6° Bovalé. Les forts de la côte d’Asie sont : 1° Kum-Kalé, 2° Tchamlik-Tabiassi, 3° Kalé-Sultanié, 4° Kalé-Bouroun-Tabiassi, 5° Nagara.

Tous ces forts consistent soit en châteaux fortifiés seulement, soit en châteaux accompagnés de batteries, soit enfin en batteries seules ; le mieux construit de tous les forts des Dardanelles est le fort de Nagara, situé sur l’emplacement de l’ancien Abydos, et consistant en un château et une assez bonne batterie ; mais celui à qui sa position naturelle assigne la première place est sans contredit le château de Kilid-Bahar, dont le nom même, qui signifie clé de la mer, est parfaitement justifié par la nature des localités, car ici le détroit se resserre tellement que les boulets peuvent atteindre les deux côtes opposées. Presque tous les châteaux des Dardanelles sont dans un état de délabrement plus ou moins avancé, et deux années de travail au moins seraient nécessaires pour réparer les brèches qu’y a faites le temps ; cependant, à la rigueur, les batteries seules, placées entre les mains des Européens, pourraient suffire à la défense du détroit ; dans tous les cas, si l’on voulait compléter le système de défense des Dardanelles, il faudrait fortifier les hauteurs qui avoisinent les châteaux. Faute d’une telle précaution, les Dardanelles seraient exposées à un coup de main et pourraient être prises par des troupes de terre qui foudroieraient les forts du haut des collines voisines.

Il y a aux Dardanelles deux poudrières, l’une sur la côte d’Asie dans le château de Kalé-Sultanié (vulgairement appelé Tchanar-Kaléssi), et l’autre sur la côte d’Europe dans le château de Kilid-Bahar ; la poudrière de Kalé-Sultanié est la plus importante, elle peut être considérée comme le dépôt principal, destiné à pourvoir, selon le besoin, tous les forts des munitions, des projectiles nécessaires ; aussi, en cas d’attaque, ce serait vers le château de Kalé-Sultanié qu’il faudrait diriger les premiers efforts, soit pour s’emparer du dépôt central, soit pour l’incendier. En ce moment, la poudrière de Kalé-Sultanié renferme