Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/857

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

75 francs pour l’entretien annuel d’un soldat turc (d’infanterie), savoir : environ 50 francs de traitement, et 25 francs de frais d’entretien et d’équipement. Or, c’est un chiffre inférieur à celui que présente l’armée russe, qui est celle de toutes les armées européennes où l’entretien du soldat coûte le moins, puisqu’on peut l’évaluer (pour le soldat d’infanterie) à 125 fr. par an, tandis qu’il coûte en Autriche 212 fr., en Prusse 240 fr., en France 340 fr., et en Angleterre 538 fr. Il n’en est point de même des grades supérieurs de l’armée ottomane, car leurs émolumens peuvent non-seulement rivaliser avec ceux des armées les mieux payées de l’Europe, mais même les dépassent bien souvent ; c’est ainsi qu’en tenant compte des rations très copieuses allouées à tous les fonctionnaires militaires en sus des traitemens dont je viens de donner le tableau, et en évaluant ces rations à la moitié du montant des traitemens, nous aurons pour l’entretien annuel d’un colonel turc la somme de 5,796 francs (c’est-à-dire 329 francs par mois de traitement, et 164 fr. à peu près de rations, ce qui fait 483 fr. par mois et 5,796 fr. par an) ; le lieutenant-général reçoit 41,560 fr. (c’est-à-dire 2,587 fr. de traitement par mois, plus 1,293 fr. de rations, ce qui fait 3,880 fr. par mois et 41,560 fr. par an) ; le général en chef ne reçoit point de rations en nature, mais il touche 190.560 fr. Il est vrai que lorsque les muchirs sont revêtus du poste de gouverneur-général d’un pachalik, tous les frais de représentation, ainsi que l’entretien de leurs secrétaires et domestiques, sont à leur charge ; mais il faut avoir habité longtemps la Turquie et avoir connu l’intérieur du ménage des pachas pour savoir à quoi s’en tenir relativement à tous ces frais d’une représentation aussi modeste que peu coûteuse, et surtout à l’entretien de cette nombreuse valetaille recouverte de guenilles, le plus souvent même dénuée de chaussure et de linge. Aussi peut-on admettre comme règle générale que sur les 150 ou 190,000 francs que touchent annuellement les muchirs, ils en dépensent rarement le quart, en sorte qu’ils peuvent compter chaque année sur une centaine de mille francs de bénéfice légal, qui est le plus souvent doublé par l’adjonction d’autres bénéfices d’une nature beaucoup moins légitime.

Quoique l’entretien de l’armée absorbe près de la moitié des revenus de l’empire ottoman, elle serait loin de suffire aux exigences d’un système de protection militaire fondé sur l’établissement de lignes de fortifications et de points stratégiques. Sous ce rapport, il n’y a point en Europe de puissance de second ou de troisième ordre qui ne soit infiniment supérieure à la Turquie, car, sans parler des autres provinces de l’empire et en n’examinant que l’Asie Mineure, on se convaincra aisément que la main de l’ingénieur militaire n’y a pas encore laissé la plus légère trace de son passage. À l’exception des Dardanelles, il n’y a pas un seul point fortifié, pas un seul ouvrage militairement construit