Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/855

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La perception de presque toutes les branches diverses de cette recette est, je l’ai dit, l’objet de concessions accordées aux particuliers, et, qui pis est, aux fonctionnaires publics. Dans toute l’Asie Mineure, par exemple, les contribuables n’ont point affaire directement au gouvernement malgré la déclaration du fameux décret de Gulhané, qui avait solennellement condamné ce détestable régime. Malheureusement, depuis les huit années qui ont suivi la promulgation du hatti-chérif, les brillantes espérances qu’il avait fait naître sont loin de s’être complètement réalisées.

Le montant du revenu de l’état, quelque faible qu’il pût paraître d’ailleurs relativement aux ressources du pays, avait suffi, il y a une trentaine d’années, aux exigences de l’administration. Le budget offrait alors une concordance très satisfaisante entre la recette et la dépense. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Le gouvernement turc a voulu substituer à l’ancien régime administratif une organisation européenne ; mais, au lieu de remplacer un système par un autre, il n’a réussi qu’à faire marcher côte à côte l’ancien et le nouveau régime, de telle sorte que les dépenses du gouvernement se sont grandement accrues sans que la chose publique y ait beaucoup gagné. La munificence du sultan actuel, munificence qui dégénère souvent en prodigalité, n’était guère de nature à rétablir l’équilibre détruit du budget turc. On comprend que dans des finances ainsi gouvernées le chiffre des dépenses n’ait pas tardé à dépasser celui des recettes, et aujourd’hui même la différence se continue dans une progression tout-à-fait alarmante, car en 1835 et 1836 la dépense dépassait la recette d’environ 50 millions de francs, tandis qu’en 1847 l’excédant de la dépense atteignait déjà le chiffre de plus de 80 millions de francs, c’est-à-dire les deux tiers du total du revenu ; aussi le gouvernement a-t-il fini par recourir au papier-monnaie, pendant tant de siècles inconnu en Turquie. Il y a six ans seulement, c’est-à-dire en 1841, que ce signe fictif et onéreux a été pour la première fois lancé dans la circulation pour suppléer au manque des valeurs réelles. Le gouvernement turc a procédé d’abord avec une certaine circonspection dans l’établissement du nouveau signe monétaire ; il a réduit l’émission des assignats au strict nécessaire ; l’année suivante, c’est-à-dire en 1842, Izet-Pacha trouva moyen de faire rembourser une partie des billets et n’en émit que pour la valeur de 60 millions de piastres, tout en réduisant l’intérêt à 6 pour 160, tandis qu’il avait été à 12 pour 100. À peine Izet-Pacha était-il tombé que déjà la valeur du papier-monnaie en circulation représentait 80 millions de piastres, et aujourd’hui il y en a en Turquie pour plus de 150 millions de piastres à 6 pour 100. N’est-ce point là une progression bien rapide ?

On voit combien il importe de développer en Turquie par tous les