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de cette ode qui ne puisse, qui ne doive être avouée par le philosophe le plus impartial, par l’historien le plus éclairé. L’auteur avait neuf ans quand il fut témoin de la prise de la Bastille ; il raconte les paroles qu’il a recueillies de la bouche d’un vieillard, et donne à son récit toute la majesté, toute la sérénité d’une prophétie. L’avènement de la liberté, l’affranchissement politique de la nation, chanté sous les verrous, sans amertume, sans colère, avec une foi profonde, que peut-on souhaiter de plus grand, de plus religieux ?

Waterloo est un des plus admirables emplois que je connaisse d’une figure que les rhéteurs appellent, je crois, prétérition. De vieux soldats mutilés supplient le poète de composer un chant funèbre sur la dernière, sur la plus sanglante de nos défaites : le poète refuse avec une fierté obstinée ; mais son refus même, motivé avec une énergie croissante, avec une exaltation tour à tour ironique ou attristée, son refus est un chant funèbre, un des plus beaux qui se puissent rêver.

Parlerai-je des Souvenirs du Peuple, consacrés aux derniers combats de Napoléon pour la défense de la patrie ? A quoi bon ? cette pièce héroïque n’est-elle pas gravée dans toutes les mémoires ? Que pourrait, que signifierait. l’analyse à propos d’une telle pièce, écrite dans la langue du hameau, qui suit pas à pas le géant des batailles et qui va droit au cœur ? Contentons-nous d’affirmer que jamais moins de mots n’ont exprimé d’une façon plus poignante le désespoir de la défaite d’une façon plus ardente la ferveur de l’admiration. Arrivé à ce point, l’art n’est plus un sujet d’étude : c’est un bonheur, c’est un don auquel il faut se contenter d’applaudir sans essayer de l’expliquer.

Cependant la patrie n’a pas épuisé la veine poétique de Béranger. Si, pendant quinze ans, depuis le retour jusqu’à l’exil des Bourbons, il a dû à la patrie dignement chantée la meilleure partie de sa puissance ; s’il a gardé son autorité sous le règne de la dynastie nouvelle, grace aux regrets qu’il avait si noblement exprimés, il ne s’est pas cru cependant dispensé d’aller plus loin à la poursuite de la vérité. Il avait chanté la patrie, et la patrie lui avait rendu en popularité ce qu’il lui avait donné en dévouement. Un esprit nourri d’idées mesquines aurait pu faire halte et regarder d’un œil indifférent toutes les questions sociales qui s’agitent autour de nous : Béranger ne l’a pas voulu, et bien lui en a pris, car sans doute c’est pour avoir sondé les questions sociales qu’il verra la popularité de son nom ratifiée par le jugement austère de la postérité. Le poète qui a écrit la Métempsychose et Mon Ame ne doute pas de l’immortalité intellectuelle, et je peux lui parler de la postérité sans amener sur ses lèvres un sourire de raillerie incrédule. N’eût-il écrit dans sa vie que le Dieu des Bonnes Gens, les Fous et la Sainte-Alliance des Peuples, qu’il aurait encore sa place marquée parmi les premiers esprits de notre âge, et serait sûr de