Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/802

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur destinée. Il ne demande pas pour eux la richesse et le loisir. Ses souvenirs guerriers dominent sa tendresse ou plutôt se confondent avec elle ; il souhaite à ses petits-fils un beau trépas. Sa pensée se reporte sur toute sa vie militaire ; il revoit le Tibre et le Rhin, le Danube et le Tage, le Nil et la Néva, les Pyramides, les Pyrénées, les Alpes et le Kremlin ; il évoque l’image de ses camarades moissonnés à ses côtés par la mitraille, et il demande pour les deux jumeaux un beau trépas. Le tambour retentit ; le vieux soldat se lève comme si son devoir l’appelait dans les rangs. Les armes étincellent, le bataillon débouche dans la plaine. Hélas ! c’est un drapeau que le vieux soldat ne connaît pas. Il adresse au ciel une prière fervente : — Que les deux jumeaux endormis maintenant dans leur berceau vengent un jour les trois couleurs ; qu’ils versent leur sang pour la patrie ; qu’ils effacent par de nouvelles victoires le souvenir de nos revers ; qu’ils obtiennent un beau trépas. La jeune mère, tout en filant son rouet, essaie de consoler le vieux soldat, et lui chante les airs qui tant de fois l’ont mené au combat. Il attache sur les deux jumeaux un regard attendri, et répète d’une voix tout à la fois pieuse et fière : Dieu, mes enfans, vous donne un beau trépas !

Le Violon brisé est, à mon avis, une des pièces les plus touchantes de Béranger, une pièce qu’on ne peut lire sans un profond attendrissement. Un vieux ménétrier qui refuse de chanter la victoire des étrangers, qui ne veut pas célébrer l’invasion, qui aime mieux voir son violon brisé que de renoncer au culte de la patrie, qui perd son gagne-pain plutôt que de se déshonorer, que peut-on rêver de plus grand, de plus vrai, de plus poétique ? A qui s’adresse le vieux ménétrier pour épancher toute l’amertume de ses regrets, toute sa colère, toute son humiliation ? Au chien compagnon fidèle de sa pauvreté, de son labeur. C’est à son chien qu’il raconte ses espérances déçues, ses projets de vengeance.

Il nous reste un gâteau de fête,
Demain nous aurons du pain noir.

Il y a dans ces simples paroles le cœur tout entier du vieux ménétrier. Son violon était la joie et la consolation du village ; son violon brisé, il n’a pas deux partis à prendre ; l’étranger lui a rendu le courage facile. Le vieux ménétrier foulera aux pieds les débris de soit violon et s’armera du mousquet pour venger la défaite de son pays. Je crois qu’on trouverait difficilement un poème qui renferme dans un si étroit espace un plus grand nombre de sentimens vrais, de sentimens choisis avec un goût sévère.

Le Quatorze Juillet, composé sous les verrous de Sainte-Pélagie, célèbre dignement la prise de la Bastille en 1789. Il n’y a pas une strophe