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grandes figures historiques des actions dont la vraisemblance est souvent contestable.

C’est avec cette indifférence que les gens du monde, et peut-être même que bien des érudits lisent l’histoire ancienne. Pour ceux qui tiennent, comme M. Grote, à démêler la vérité des événemens et les causes qui les ont produits, que de contradictions, que d’incertitudes, leur apparaissent dans les meilleurs historiens ! Outre le doute que font naître des témoignages évidemment suspects de passion ou de partialité, notre ignorance d’une foule de lois, de coutumes, d’habitudes, notre embarras pour nous reporter à des idées ou à des préjugés de vingt siècles en çà rendent excessivement difficile l’appréciation des événemens les mieux constatés. Dans cette étude critique, l’érudition et la science politique, trop rarement compagnes de nos jours, doivent s’entraider et se soutenir à chaque pas. Nous avons remarqué déjà les connaissances toutes spéciales qui distinguent M. Grote à ces deux titres, et la lecture de ses derniers volumes n’a fait que nous confirmer dans notre jugement.

L’histoire ancienne écrite par des modernes porte toujours quelque indice des préoccupations du temps où elle a été composée. Au moyen-âge, on faisait d’Alexandre une espèce de chevalier errant. Courier, qui se moquait tant des seigneurs de Larche qui faisaient cuire du mouton, Courier, en dépit de son style archaïque, laisse deviner plus d’une fois, dans les fragmens de son Hérodote, le publiciste populaire de la restauration. M. Grote, spectateur de la lutte qui partage l’Europe entre la démocratie et l’aristocratie, montre franchement ses opinions sur les questions du moment, tout en nous racontant les révolutions de la Grèce antique. Je suis loin de lui en faire un crime. Si le but de l’histoire est d’instruire les hommes, ne doit-elle pas varier ses leçons selon les époques, selon les besoins de chaque génération ? A chacune son enseignement spécial. Il fut un temps où les rois seuls trouvaient dans l’histoire des leçons utiles ; le moment est venu pour les peuples d’y apprendre leurs devoirs. Pour nous, qui vivons sous un gouvernement fondé sur le suffrage universel, l’étude de l’histoire grecque offre un intérêt particulier, et l’exemple de la petite république d’Athènes peut être profitable pour la grande république de France.

La plupart des historiens de l’antiquité, et après eux tous les modernes, n’ont remarqué que les défauts du gouvernement populaire d’Athènes, et les ont repris avec plus ou moins d’aigreur. Thucydide et Xénophon étaient des exilés ; le dernier fut pensionnaire de Sparte. À ce titre, leur témoignage doit être suspect de partialité ; cependant il a toujours été accepté de confiance, et les modernes ont même exagéré, en les répétant, leurs critiques contre la démocratie. M. Grote s’est fait son apologiste, et, à notre sentiment, il a été souvent heureux