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peindre le caractère. Peu d’époques de l’histoire grecque excitent un aussi vif intérêt ; mais, d’un autre côté, il n’en est pas qui soit plus difficile à traiter pour un écrivain de notre temps. En effet, il faut forcément redire ce qu’ont déjà raconté Thucydide et Xénophon, ce que nous avons tous péniblement traduit au collége, ce que nous avons relu plus tard, lorsque nos professeurs n’ont pas réussi à détruire radicalement en nous le goût de la littérature ancienne. Pour entrer dans la carrière illustrée par le prince des historiens grecs, on doit braver d’abord le reproche de témérité ou même de présomption. Traduire Thucydide dans une de nos langues modernes, c’est, disent les doctes et répètent les ignorans après eux, c’est une entreprise impossible. Se servir de son témoignage pour l’appliquer à un système historique nouveau, n’est-ce pas tenter de construire un édifice moderne avec des matériaux taillés, et merveilleusement taillés, pour un monument inimitable ? C’est entre ces deux écueils que M. Grote avait à louvoyer, et il l’a fait avec une habileté singulière. Au mérite de traducteur, il a joint celui de critique érudit et de commentateur ingénieux. Cette dernière tâche, toujours difficile et souvent ingrate, est trop négligée par bien des savans modernes qui croiraient indigne d’eux d’aplanir à leurs successeurs les obstacles qu’ils ont eux-mêmes péniblement surmontés.

Rien de plus utile cependant et de plus propre à répandre le goût et l’intelligence des études historiques. La plupart des auteurs anciens exigeraient un commentaire perpétuel, non pour expliquer la grécité ou la latinité, mais pour rendre intelligibles au lecteur moderne les mœurs, les passions, les idées des personnages qui ont vécu dans une société complètement différente de la nôtre. Si le besoin d’un tel commentaire n’est pas plus généralement senti, je pense qu’il ne faut pas l’attribuer à la supériorité de notre intelligence, mais plutôt à la facilité qu’on a aujourd’hui à se payer de mots et à n’examiner les choses que superficiellement. Je me hâte d’ajouter, de peur d’être accusé d’injustice et de mauvaise humeur contre mon siècle, qu’il est assez naturel qu’on n’apporte pas dans l’étude de l’histoire ancienne l’esprit de critique ou même de curiosité que l’histoire contemporaine rencontre d’ordinaire. En effet, pourquoi contrôler péniblement le récit d’événemens dont les résultats n’affectent pas visiblement nos intérêts matériels ? Les historiens de l’antiquité, surtout les Grecs, à part la vénération ou l’horreur que notre éducation de collége nous a inspirée, exercent sur nous par leur art merveilleux la même séduction que leurs poètes. Aux uns et aux autres on fait sans scrupule de larges concessions, et, de même qu’on ne s’avise pas de reprocher à Eschyle de donner à son Prométhée un rôle qui s’écarte en maint endroit du mythe accrédité, on ne s’embarrassera guère qu’Hérodote ou Thucydide prêtent à leurs