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pas un innocent à la haute cour, elle ne rivait pas d’un cran la chaîne de la royauté sans exhaler des cris d’enthousiasme et d’amour pour la loi constitutionnelle, et moins d’un mois avant que cette assemblée disparût elle-même sous les débris du trône qu’elle avait sapé, la France l’entendait encore, sur la célèbre motion de Lamourette, décréter la sainteté de la constitution de 91 et jurer d’une voix stridente une haine égale à quiconque tenterait soit de rétablir le despotisme, soit de transformer la France en république. Mais, pendant que ce mot faisait courir des frissons de colère et soulevait des protestations furieuses au sein de l’assemblée, il ne se passait pas une séance où elle ne s’attachât à avilir par ses injures et par ses votes l’un des pouvoirs créés par la constitution, celui contre lequel se dirigeaient les attaques les plus meurtrières ; il n’y avait guère d’orateur qui, pour se mettre en bons termes avec les tribunes, ne terminât ses harangues sans représenter ce pouvoir comme en conspiration permanente contre l’honneur et la liberté du pays ; il n’y eut pas un factieux, pas un assassin, y compris les rebelles de Nancy et les meurtriers d’Avignon, auxquels elle ne réservât la réhabilitation et presque l’apothéose ; il n’y eut pas enfin un partisan de cette constitution idolâtrée, depuis Delessart jusqu’à Lafayette, qu’elle ne dévouât, sur l’injonction des clubs, soit à la justice expéditive d’Orléans, soit à l’insurrection militaire au sein de sa propre armée. Cette assemblée, qui repoussait comme un outrage l’imputation de républicanisme, ne recevait pas une fois dans son enceinte le chef du pouvoir exécutif sans dégrader sa dignité, sans humilier sa personne, sans lui imposer une situation dont aurait rougi le dernier des citoyens. Pourquoi ces contradictions perpétuelles entre la conduite et les principes, entre le but et les moyens, si ce n’est parce que l’assemblée constituante n’avait légué que des institutions mortes à l’assemblée qui allait la suivre, et que celle-ci n’exerçait pas plus en réalité la puissance de faire les lois que l’autre pouvoir ne possédait celle de les faire exécuter ? La constituante, avant de se séparer, avait laissé passer l’initiative et la force à la société des Jacobins, qui, conformément à l’hypocrisie universelle qui fait le fond de la langue politique de cette époque, s’appelait, comme on sait, Société des amis de la constitution. Avec ses affiliations organisées dans tous les départemens, dans tous les cantons, et presque dans toutes les communes, avec ses bureaux, son immense personnel, ses cotisations financières et ses journaux, cette formidable association était devenue le véritable et seul gouvernement du pays.

Au sein de la constituante, Robespierre et Pétion avaient contribué à préparer cet état de choses, dont ils avaient mesuré la portée avec une sagacité peu commune. Lorsque le parti démocratique insista si vivement pour faire refuser le droit de réélection aux membres de la