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l’année suivante, il n’avait fait aucune tentative soit pour échapper aux prescriptions de l’assemblée, soit pour arrêter le cours de ses travaux parlementaires. À peu près désarmé du droit de veto dans les questions fondamentales par la distinction inventée entre les simples décrets et les décrets constitutionnels, le roi avait quelquefois adressé des observations, mais il n’avait jamais élevé de plaintes. Son attitude en face de l’Europe n’avait pas été sensiblement différente de celle qu’il gardait devant la France. Jusqu’au mois de décembre de l’année 1790, il est impossible de découvrir dans aucune des pièces publiées depuis en si grand nombre, tant en France qu’à l’étranger, le plus léger indice d’une intention en désaccord avec ses déclarations patentes ; mais un changement radical et soudain s’opéra dans l’ame du monarque lorsque sa sanction fut réclamée pour les décrets relatifs à la constitution civile du clergé.

Louis XVI n’était point opposé à une large réforme à opérer dans l’établissement ecclésiastique de concert avec Rome : sa correspondance personnelle avec le pape Pie VI constate ces dispositions, qu’il essaya vainement plusieurs fois de faire partager à l’assemblée ; mais, lorsqu’au lieu d’une réforme canoniquement préparée il se vit face à face avec un schisme patent, sa conscience se souleva, et le prince qui avait assisté avec une impassible résignation à sa déchéance politique se prit pour sa position d’un dégoût et d’une horreur invincibles. Il essaya contre les décrets une résistance constitutionnelle dont témoignèrent ses ajournemens ; on sait qu’une émeute força la sanction royale. De ce jour, Louis XVI, se considérant comme prisonnier, commença d’entretenir les pensées, les espérances et les illusions d’un captif. Il fut saisi de l’irrésistible désir de recouvrer sinon son trône, du moins sa liberté personnelle. Le 27 novembre 1790, il avait attaché son nom aux funestes décrets : huit jours après, le roi adressait aux principaux cabinets de l’Europe une dépêche secrète pour réclamer leur concours et pour les provoquer à un concert dont le caractère n’était pas nettement indiqué, mais qui ne pouvait manifestement aboutir qu’à l’invasion du territoire français par les puissances coalisées[1].

Bientôt fut infligée au malheureux monarque la plus cruelle preuve de sa servitude. Lorsqu’il voulut, au temps pascal, quitter Paris, où mille regards épiaient ses prières et ses larmes, pour aller à Saint-Cloud recevoir des mains d’un prêtre non assermenté des secours religieux alors si nécessaires à son ame, toutes les sociétés populaires s’émurent, tous les journaux poussèrent un cri d’alarme ; la municipalité intervint, et, malgré les nobles efforts du général Lafayette et quelques

  1. Voyez la lettre du 4 décembre 1790 dans les Mémoires du prince de Hardenberg.