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nouvelle constitution ecclésiastique serait, parle seul fait du refus de serment, déchu de ses fonctions et immédiatement remplacé.

On croyait n’avoir affaire qu’à des résistances isolées dont on triompherait facilement par la misère ou l’intimidation ; aussi éprouva-t-on un singulier désappointement en se voyant tout à coup en face du clergé presque unanime et des populations émues et bientôt après soulevées. La résistance de l’église fut calme, mais inébranlable. À de rares exceptions près, le serment fut refusé d’un bout à l’autre du royaume. Ce fut donc au milieu des agitations inséparables d’un renouvellement général et dans le déchaînement de toutes les passions qu’il fallut procéder au déplacement de quarante mille curés et à l’élection de quatre-vingt-trois nouveaux évêques dont la force des choses faisait les ennemis et non les successeurs des vieux pasteurs arrachés à leurs troupeaux. Si l’effet de ces mesures fut grand dans le pays, elles eurent sur l’esprit et la constitution intérieure de l’assemblée une action peut-être plus grande encore. Trois cents ecclésiastiques siégeaient au sein de la constituante ; la majorité décréta que ceux d’entre eux qui, après un délai de quelques semaines, n’auraient pas prêté le serment auquel étaient astreints tous les fonctionnaires ecclésiastiques seraient considérés comme démissionnaires de plein droit. Le jour fatal arrivé, on appelle successivement à la tribune et ces prélats en cheveux blancs et ces curés plébéiens qu’on avait vus naguère dans l’église Saint-Louis et dans la salle du Jeu de Paume se presser derrière les représentans des communes au jour où de grands dangers planaient sur la liberté naissante. Un silence de mort répond seul à la voix qui les provoque à l’apostasie. De quarante-six évêques membres de l’assemblée, deux seulement prêtent un serment dont leur vie allait devenir le plus sanglant commentaire. En tenant compte des rétractations qui suivirent bientôt, la proportion des assermentés ne fut guère plus forte dans le clergé inférieur. Ces pauvres curés qui, depuis l’ouverture de l’assemblée, assistaient humbles et sans mot dire à ces débats magnifiques, trouvèrent en ce jour des cris déchirans, des larmes éloquentes et quelques sublimes paroles pour implorer la pitié de ceux qui de sang-froid dépouillaient leur vieillesse de l’espoir d’un tombeau sous les dalles de leur église chérie.

La séance où se consomma ce sacrifice[1] a, parmi tant d’éclatans débats parlementaires, une physionomie de grandeur et de mélancolie incomparable. Des vieillards aux allures modestes, aux noms inconnus, montent tour à tour à la tribune qu’ils n’abordèrent jamais. Ils demandent justice, ils demandent pitié, ils demandent grace. Pour désarmer de sauvages et gratuites exigences, ils offrent tout, excepté ce

  1. Séance du 2 janvier 1791.