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peser le présent selon ses intérêts ! La nation est perdue sans ressource, si la grandeur manifeste du péril n’y relève pas le niveau du sentiment moral ; l’aveu de nos fautes réciproques est la condition du salut commun, et le premier devoir de la génération contemporaine est de répudier dans l’histoire les idées contre lesquelles elle est appelée à s’armer et à combattre.

Ce serait donner à ma pensée l’interprétation la plus erronée que de trouver, dans ce que je viens de dire, l’expression d’un regret pour le vieux système d’une église formant un ordre politique dans l’état et pourvue d’une riche dotation territoriale. Je crois fermement, et peut-être cette déclaration est-elle de ma part fort inutile, que ce système ne correspondait plus ni aux nouveaux devoirs du clergé ni aux épreuves réservées à l’avenir. En renversant l’antique édifice affaissé sous le poids de sa décrépitude, la génération révolutionnaire accomplissait visiblement une mission suprême ; mais, lors même que nos crimes ou nos passions deviennent aux mains de la Providence les instrumens de ses voies, cet accord entre le plan divin et la liberté de l’homme ne dégage pas plus la responsabilité de la créature qu’il ne désarme la justice du Créateur. Si Dieu fait souvent sortir le bien du mal, il ne fait jamais que le mal devienne le bien. Ajoutons à ce propos une autre réflexion : on dit tous les jours que la France aurait succombé sous les atteintes du communisme, si elle n’avait, pour défendre le droit de propriété, les innombrables petits propriétaires qui ont dû à la dissémination des biens confisqués sur le clergé et sur les émigrés leur avènement à la possession territoriale. Nul n’en demeure plus convaincu que moi et n’attache plus d’importance à ce fait si rassurant pour l’ordre public ; mais cela justifie-t-il, même au point de vue social, l’atteinte primitivement portée à l’inviolabilité de la propriété ? En aucune façon, car cette atteinte même a été le germe du communisme ; c’est le jour où elle fut commise qu’il fut inauguré dans le monde et que le droit de l’état fut reconnu supérieur au droit privé. Or, mieux vaudrait, si je ne me trompe, ne pas connaître ce fléau que d’avoir reçu les moyens et de conserver l’espoir de lui résister. J’imagine que l’humanité renoncerait de grand cœur aux bienfaits de la vaccine pour être délivrée de la petite vérole.

La confiscation de ses propriétés était le moindre péril qui menaçât alors le clergé catholique. Ce qu’il avait surtout à redouter, c’était de se voir transformé en un corps de fonctionnaires salariés, soumis dès-lors, comme la nation tout entière, aux caprices législatifs d’une assemblée au sein de laquelle fermentaient les haines implacables amassées depuis un demi-siècle par les ironiques enseignemens de Voltaire. Ce fut en effet par de nouvelles applications du principe de l’omnipotence de l’assemblée que se dévoila le plan d’attaque à la conscience