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où dut se trouver la constituante de triompher dans la lutte si résolument ouverte contre elle. Si la France ne résiste aujourd’hui à l’anarchie que par l’accord de tous les partis politiques, temporairement réunis pour sauver la société, comment l’assemblée constituante n’aurait-elle pas assuré le triomphe prochain de la faction anti-sociale par l’attitude qu’elle avait prise ? Au lieu d’aspirer à réunir les partis et d’attirer à elle ses adversaires politiques pour repousser les ennemis de la société, elle consacrait tous ses efforts à élargir l’abîme qui les séparait d’elle ; loin de couvrir de sa protection les intérêts qu’elle avait vaincus, elle les désignait chaque jour aux vindictes publiques : Incapable d’être généreuse par calcul, elle n’avait pas même la force d’être juste. Loin de couvrir d’un triple airain le principe fondamental de la propriété, elle en proclamait elle-même la violation, et lorsque la terre, ébranlée jusqu’aux abîmes, avait plus que jamais besoin d’être fortement reliée au ciel, elle coupait d’une main téméraire la chaîne qui les unit, en organisant contre l’église la plus rude persécution qu’elle ait traversée depuis la fondation de la nationalité française. On va voir que de toutes ses fautes ce fut celle qui reçut le châtiment le plus instantané et le plus terrible, et nous espérons constater que, sans métaphore et au pied de la lettre, la constituante mourut du coup même qu’elle avait porté.

Ce qui avait fondé la puissance morale de cette grande assemblée, c’était l’autorité des principes proclamés au début de ses travaux ; ce fut par là qu’elle répondit au sentiment intime de la nation. Liberté individuelle, liberté de la conscience et de la pensée, liberté du travail et de l’industrie, ces maximes mûries au soleil du christianisme étaient acceptées par l’Europe avec une sympathie d’autant plus vive, qu’on pressentait peut-être l’avènement prochain d’une doctrine de servitude et de mort ; mais, reculant bientôt devant le devoir d’appliquer à ses adversaires le bénéfice des doctrines proclamées par elle-même, on vit la constituante, pendant la seconde moitié de sa carrière, démentir tous les principes consacrés durant la première, et porter à la liberté individuelle, à la liberté de conscience et au droit de propriété des atteintes tellement violentes, qu’elles changèrent soudainement le cours de la révolution en engendrant des résistances qui ne se seraient point produites sans elles. Les classes au sein desquelles les décrets de la constituante avaient rencontré jusqu’alors, non pas un assentiment intime, mais une obéissance entière, se préparèrent à une lutte dont on n’avait mesuré ni l’énergie ni la portée. Dès-lors, placée entre l’aristocratie et le clergé retrouvant l’un et l’autre des forces nouvelles dans les iniquités dont ils étaient victimes et la démagogie systématiquement ménagée par elle, la bourgeoisie fut condamnée à disparaître dans la lutte, sans même conserver le droit de protester contre son sort. Comment suscita-t-elle contre elle-même