Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/683

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’autorité du nombre la puissance morale qu’on avait cherchée jusqu’alors dans celle de l’intelligence, — telles furent les sources d’où découlèrent les intarissables harangues du tribun, dont les grands esprits de la constituante ne soupçonnaient ni la puissance ni la destinée.

Pour n’être pas encore consacrés par des formules philosophiques, les mauvais instincts de la nature humaine n’avaient, au début de la crise révolutionnaire, ni une moindre portée ni une moindre énergie. Sans savoir nettement que le dernier mot de l’œuvre commencée serait la mise en question de la propriété héréditaire et la substitution de l’omnipotence de l’état aux droits individuels des citoyens, l’école révolutionnaire préparait ce résultat en propageant des doctrines de spoliation et de tyrannie, en faisant surtout de sataniques efforts pour éteindre le flambeau sacré dont les vacillantes lueurs éclairaient encore le monde. Pour amener un peuple chrétien jusqu’à prêter l’oreille aux sacrilèges énormités de tel de nos réformateurs contemporains et aux monstruosités économiques de tel autre, il fallait un long et persévérant travail sur l’esprit et la conscience des masses, auquel concoururent toutes les plumes homicides de cette génération maudite, depuis Camille Desmoulins faisant son œuvre de bourreau au pied de la lanterne, drapé dans le manteau d’un sophiste grec, jusqu’à Marat, l’être hybride qu’on ne sait s’il faut classer parmi les hommes ou parmi les animaux de proie. Les saturnales du sang durent précéder celles de l’intelligence, car il est des degrés dans la dépravation publique, et il faut semer long-temps la corruption avant de voir germer la mort. Aussi tous les ouvriers du grand œuvre s’adressent-ils à distance de sympathiques hommages ; et se reconnaissent-ils pour les héritiers l’un de l’autre. Le socialisme étend avec justice sa généalogie de Babeuf à Robespierre, et remonte par celui-ci jusqu’à l’auteur du Discours sur l’inégalité des conditions, qui signala le premier la société comme un état contre nature, et l’établissement de la propriété comme la source de toutes les misères humaines.

L’assemblée constituante voyait donc s’élever en face d’elle les mêmes périls et les mêmes passions que nous rencontrons aujourd’hui devant nous. On marchait au même but sous l’impulsion des mêmes mobiles, quoique les dénominations savantes ne fussent pas encore élaborées. À l’aurore de la révolution, le droit au travail entraînait les masses ouvrières au pillage de la manufacture de Réveillon ; le droit à l’assistance poussait à l’incendie des barrières, faisait accrocher à la lanterne le boulanger François, et, dans le rude hiver de 89, provoquait d’un bout du royaume à l’autre au massacre des prétendus accapareurs ; enfin l’omnipotence populaire, substituée au respect des droits privés, faisait égorger les défenseurs de la Bastille au mépris d’une capitulation et couper en morceaux Foulon et Berthier.

Les circonstances où nous sommes font très bien comprendre l’impossibilité