Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/681

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre les émigrés encore inoffensifs, que se portaient les inquiétudes et les colères suscitées par les premiers succès des jacobins ; les princes qui, sitôt après la prise de la Bastille, avaient fui pour sauver leur tête payaient pour les journalistes séditieux, qui, tout en professant pour les travaux de l’assemblée un respect hypocrite, préparaient manifestement une autre révolution. En même temps qu’on dépouillait le monarque des attributs de toute monarchie représentative et qu’on substituait le despotisme d’une assemblée unique à celui de la royauté absolue, on donnait à cette omnipotence des formes systématiquement blessantes ; l’assemblée exerçait sur la minorité de ses membres une compression de tous les instans, et, l’oppression constamment pratiquée par les tribunes venant s’ajouter à celle dont la majorité avait pris la triste habitude, on peut dire que jamais réunion délibérante ne laissa aux partis une moindre somme de liberté. Elle livrait la minorité aux clameurs et aux insultes du dehors, et transformait en actes de rébellion toutes les paroles qui paraissaient contester la perpétuité d’une œuvre à peine destinée à lui survivre. On vit cette assemblée aller jusqu’à arracher du fauteuil de la présidence, où il venait d’être régulièrement appelé, l’un des membres de la minorité, parce que celle-ci, sans contester d’ailleurs la légalité de décrets rendus, avait cru pouvoir protester contre des mesures qui lui semblaient contraires aux droits constitutionnels et au droit de propriété[1].

Qu’on remonte à la pensée qui domina constamment la majorité de la constituante, et l’on trouvera qu’elle se réduit à ceci : donner le change au pays et à soi-même sur la véritable nature des obstacles qu’on avait en face de soi ; imputer aux mauvais vouloirs de la contre-révolution les difficultés qui naissaient des exigences chaque jour croissantes de la révolution elle-même, et frapper les aristocrates dans l’espoir de calmer les démagogues : — hypocrite et impuissante politique, devenue comme la formule permanente des oppositions pendant cinquante ans.

Ce fut dans cet ingrat labeur que la constituante consuma les admirables facultés qui lui avaient été si largement départies. Une constitution présentée avec orgueil aux races futures comme à peu près irrévisible[2] fut oubliée en quelques mois comme un article de journal, parce qu’en se barricadant contre le despotisme, on ne songea pas à défendre la porte par laquelle entra l’anarchie. Le gouvernement constitutionnel disparut devant la république, qui, peu touchée des facilités qu’on lui avait ménagées, infligea à ses devanciers des sifflets et l’échafaud.

L’assemblée constituante avait reçu du ciel une grande mission

  1. Débat relatif à la présidence de M. de Virieu, 27 avril 1790.
  2. Voyez les conditions multipliées et d’une réalisation presque impossible imposées à la révision de la constitution de 1791 par son titre VII.