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en arrachant jusqu’à leurs noms aux familles qui les portaient depuis des siècles, toutes ces mesures, qui renversaient en trois mois une société vieille de mille ans, rencontrèrent partout l’obéissance. L’assemblée souveraine, biffant l’histoire tout entière, put substituer tout à coup des tribunaux électifs et temporaires à ces parlemens antiques entourés du respect des générations, et auxquels se rattachaient les intérêts de familles innombrables ; elle osa, dans l’enivrement de sa confiance et de sa force, mettre à néant les provinces, comme elle avait transformé les familles, et substituer un échiquier territorial aux divisions antiques consacrées par les souvenirs, et pas une de ces tentatives inouïes dans l’histoire ne donna lieu à un conflit, ne souleva une résistance. À peine quelques cours souveraines osèrent-elles consigner sur leurs registres de timides remontrances, bientôt lacérées sur les injonctions de l’assemblée. La révolution roulait comme la foudre sous la main de Dieu, sans rencontrer devant elle aucun obstacle ; pendant plus d’une année, ses ennemis semblèrent rentrés sous terre, et elle n’eut à se défendre que contre elle-même. Durent la première période de la constituante, pendant le cours de quinze mois, ni les sociétés politiques partout organisées, ni la presse révolutionnaire aux aguets, ni le comité des recherches de l’assemblée, ni celui de l’Hôtel-de-Ville à la piste des paroles et des correspondances sur tous les points du territoire, ne parvinrent à constater l’existence d’un projet contre-révolutionnaire de nature à préoccuper quelque peu l’attention.

Les dénonciations abondaient, il est vrai, à la tribune et dans les feuilles publiques ; mais, quelque empressement que l’on mît à les accueillir, il fut impossible d’en tirer aucun indice sérieux, parce qu’en réalité aucun concert n’était encore formé contre l’œuvre de régénération si hardiment entreprise. Seulement, comme chaque jour éclairait des violences et que d’odieux attentats contre les propriétés et les personnes venaient humilier la France et déshonorer la révolution, on s’efforçait d’inventer des complots pour expliquer des crimes qu’on n’avait ni la force de réprimer, ni le courage de flétrir. Lorsque le sang coulait par la main de la populace dans la plupart des grandes villes du royaume, lorsque les paysans brûlaient les châteaux et que les soldats fusillaient leurs officiers, on faisait les plus grands efforts pour trouver des conspirateurs afin de ne pas voir des victimes, et l’on fermait les yeux sur les crimes pour n’être pas contraint de les ouvrir sur les bourreaux. En réalité, aucun homme au courant des phases diverses de la révolution française, aucun de ceux qui en ont étudié l’histoire aux sources mêmes ne pourra contester cette assertion, qui est pour moi le résultat de longues et consciencieuses recherches, à savoir, que, depuis l’insurrection du 14 juillet jusqu’au commencement de 1791, aucune tentative ne fut essayée, aucun dessein ne fut