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d’accomplir sur ce point la volonté nationale, en parfait accord d’ailleurs avec leurs sentimens personnels. La. confiance sans exemple, et malheureusement aussi sans durée, avec laquelle tout un peuple s’élançait, le cœur ouvert à l’espérance et au sacrifice, vers un avenir inconnu, présente, nous l’avons déjà dit, l’un des plus grands spectacles de l’histoire. Lorsque les partis, après s’être combattus soixante ans, sont conduits par la force des choses à se rapprocher, il est bon qu’ils connaissent ces dispositions premières et qu’ils s’en tiennent un compte mutuel ; il est meilleur encore de les provoquer à l’étude des causes qui firent échouer soudainement tant de patriotiques pensées et rendirent tant de dévouemens inutiles.

Par quel enchaînement d’événemens et de fautes le roi salué avec transport, en juillet 1789, du titre de restaurateur de la liberté française devint-il, trois mois après, le prisonnier d’un peuple appelé par lui à l’exercice de droits méconnus depuis des siècles et l’esclave d’une majorité qui, travaillant à le dépouiller des prérogatives indispensables à tout gouvernement régulier, continuait néanmoins à professer pour sa personne un attachement non simulé ? Comment Louis XVI se trouvai-il conduit, en 1791, à fuir d’un pays où le chef nominal du pouvoir exécutif conservait moins de liberté que le dernier de ses sujets ? Pourquoi le clergé, qui, en se réunissant aux communes, avait mis celles-ci en mesure de prendre et de conserver le titre d’assemblée nationale, se vit-il, une année plus tard, dépouillé de ses biens et soumis à des lois qui ne lui laissaient pas d’alternative entre l’apostasie et l’exil ? Comment expliquer enfin que la bourgeoisie, enthousiaste de la constitution de 91, et qui n’avait que des paroles de dédain pour les rares républicains épars sur les bancs de la constituante, ait pu, en pleine possession d’une loi électorale qui assurait sa suprématie, élire l’assemblée qui, en moins d’une année, provoqua le 10 août et s’abîma dans le sang de septembre ? D’où vient que, durant le cours de ce grand drame, les résultats ont été constamment contraires aux intentions ? Pourquoi, maîtresse du pouvoir au 14 juillet 1789, la bourgeoisie française n’a-t-elle su, depuis la prise de la Bastille jusqu’au 10 août, que préparer et faciliter le triomphe de la démocratie ? Tel est le problème posé devant la France depuis plus d’un demi-siècle et que je voudrais contribuer à éclaircir.


I

J’ai établi qu’en ne tranchant point au début la question décisive de la vérification en commun et du vote par tête, les ministres de Louis XVI et M. Necker en particulier avaient ouvert une crise dont il était trop facile de pressentir la redoutable portée. Laisser fermenter une assemblée