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ai vu, dit un voyageur, qui prenaient pour amuser les jeunes personnes des airs singulièrement gracieux, qui leur parlaient rubans pendant une demi-heure ou se faisaient leurs danseurs avec une complaisance exemplaire, non dans l’intérêt de leur galanterie, mais par politique. » Cette domination des femmes et ce demi-retour à l’état de nature rendent, à ce qu’il paraît, les enfans très indisciplinés. Les familles ne peuvent pas toujours obtenir de leurs jeunes membres la soumission nécessaire aux ordres de la médecine ; M. Lyell affirme que l’on perd beaucoup d’enfans par suite de cette indépendance indomptable. Une nursery américaine est insupportable à cause du tumulte et de la révolte perpétuelle qui y règnent. L’indulgence des Américains pour leurs petits enfans a d’ailleurs une bonne raison ; à peine échappés au bas âge, ils prennent leur essor, et la première enfance est la seule époque où la tendresse du père et de la mère puisse librement se manifester. L’indulgence pour les enfans et le respect pour les femmes se confondent dans un même sentiment, l’amour de la race, et compensent certainement les inconvéniens que nous avons signalés.

La culture intellectuelle est peu favorisée par un tel mouvement. Ce dont on doit s’étonner, c’est que la jeune littérature américaine ait produit des écrivains aussi élégans qu’Irving, des poètes tels que Longfellow et Bryant, des historiens tels que Bancroft et Prescott, des narrateurs tels que Pierpoint, Halleck, Fenimore Cooper et Stevens, ce dernier à peine connu en France, assurément digne de l’être par le coloris, le mouvement et la vie qu’il donne à ses tableaux. Les Anglo-Américains ont raison d’être fiers de ces noms. Au lieu d’exiger de l’homme de lettres qu’il se fasse homme politique pour compter dans la société, au lieu de mépriser ou d’écraser l’historien épris seulement de l’histoire, le poète qui reste poète, le philosophe qui ne se mêle pas aux partis, le bon sens américain estime celui qui se tient à sa place ; on va l’y chercher pour faire du romancier Paulding un ministre, de Bancroft, d’Everett, d’Irving et de Stevens des hommes d’état et des ambassadeurs ; ils font honneur à leur mission, précisément parce qu’ils ne l’ont pas briguée à genoux ou conquise par la ruse. Loin de marchander les rémunérations scientifiques, les Américains semblent les exagérer à plaisir, et leur orgueil national comprend qu’un peuple qui s’honore lui-même met la puissance intellectuelle à l’abri des atteintes de la jalousie démocratique. Un membre de l’Institut touchant 1200 francs dans son dernier âge, les maîtres de la science payés 5,000 francs par an, comme en France, leur sembleraient chose absurde. Il y a un institut à Boston, l’institut Lowell, où les hommes les plus célèbres du pays sont appelés à faire des leçons au prix de 10,000 fr. pour vingt leçons, ou de 500 francs par heure. Cependant l’éducation populaire continue son œuvre, d’innombrables journaux couvrent le