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ces unions dans les états à esclaves. Le mépris public ne suffit pas à frapper le coupable que la passion pourrait entraîner à conclure une telle alliance ; on le prive de ses droits de citoyen. Avant de solenniser le mariage, il faut qu’il déclare sous serment qu’il a dans les veines du sang noir, c’est-à-dire qu’il est déchu de tout droit civil. « J’ai connu, dit mistriss Houstoun, un jeune Américain, habitant la Nouvelle-Orléans, que l’amour ou la cupidité entraînèrent jusque-là. La plus riche héritière du pays était une fille quarteronne, née d’un négociant juif et d’une mulâtresse, et dont la beauté, la grace, l’éducation, faisaient un admirable parti. Le père ne voulait la donner qu’à un blanc, en légitime mariage bien entendu ; personne ne se présentait. Enfin l’Américain dont j’ai parlé s’éprit soit de la fortune, soit de la jeune personne, et se décida à la demander en mariage. Il fallait pour cela prêter le serment de déchéance et mentir, puisqu’il était de race et de sang anglo-saxons. Voici l’expédient auquel il eut recours avant de paraître devant les autorités compétentes, il ouvrit la veine de sa fiancée, qui consentit à l’opération, et introduisit une goutte de ce précieux sang dans une blessure légère qu’il s’était faite à la main. Après cette inoculation sentimentale et conjugale, armé contre les scrupules de sa conscience, il se présenta le front haut, jura qu’il avait du sang noir dans les veines, épousa sa fiancée, et fut contraint de partir pour l’Europe. Se réfugier dans une autre province des États-Unis eût été impossible ; la trace de la race africaine, le signe fatal, la forme et la couleur des ongles, ne s’effacent et ne disparaissent jamais. L’empereur d’Haïti ne recevrait pas l’hospitalité dans une taverne américaine de dixième ordre. » C’est ce que le prince noir Boyer éprouva, à son vif chagrin, quand il traversa les États-Unis. Astor-House, ce modèle des hôtels garnis, lui ferma ses portes : On n’y reçoit pas de noirs, lui répondit-on. Il essaya vainement de se faire admettre dans les hôtels secondaires et ne put reposer sa tête sérénissime que dans un bouge dont le propriétaire, liquoriste et marchand de vin, logeait et couchait des noirs. Au théâtre, même accueil. Le parterre et les loges repoussaient le prince Boyer, qui se hâta de prendre congé de la ville inhospitalière.

Plus on avance vers le sud, plus ce levain germanique, cette fierté de la race blanche, que le christianisme a su corriger et adoucir dans les états puritains du nord, éclate avec violence. Les grandes propriétés, la vie presque aristocratique, les goûts élégans de la Georgie, de la Floride, du Maryland, de la Virginie, l’habitude d’avoir des esclaves qui suppléent à l’activité personnelle du maître, la crainte de voir toute la puissance et toute la richesse de l’Union se concentrer dans le nord dont la supériorité est déjà menaçante, les procédés un peu vifs et la ferveur des abolitionistes, l’impossibilité de donner aux planteurs, en