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au ciel. La spéculation des Bostoniens fit de ces robes blanches une affaire lucrative ; on lisait partout des annonces conçues en ces mots « Robes blanches magnifiques, à très bon marché, pour toutes les tailles, du meilleur goût, et prêtes à livrer pour l’ascension du 23. » Quelques prédicateurs méthodistes et certains journaux fomentèrent cette étrange hallucination. Il y eut des habitans de New-York qui passèrent la nuit du 23 au 24, revêtus de leurs longues robes blanches, attendant la trompette et l’ange du Seigneur. Une jeune personne sur le point de se marier, ayant reçu de son fiancé un collier de prix, voulut, quand elle sut que la fin du monde approchait, consacrer ce présent de noce à l’œuvre sainte du tabernacle. Le joaillier auquel elle le porta pour le vendre lui demanda si elle n’était pas millérite, et sur sa réponse affirmative : « Voici, lui dit-il, des couverts d’argent sur lesquels je fais graver les initiales de votre ministre ; je dois les lui livrer à la fin du mois, il ne croit donc pas un mot de ce qu’il vous prêche. »

On éleva dans un des quartiers les plus fréquentés de Boston un hangar temporaire en planches mal jointes et assez grand pour contenir de deux à trois mille personnes. L’édifice allait crouler sur la tête des passans. Les magistrats intervinrent et exigèrent que l’on bâtît une salle plus solide. La troupe des hallucinés s’y rendit en effet le 23 octobre 1847, et y passa la nuit en prières. Ils étaient vêtus de robes blanches, prêts, disaient-ils, à monter (to go up), et chantant à perdre haleine :

« Je suis tout blanc ; mon ame est prête,
« Je vais monter, rien ne m’arrête ! »

La salle ornée de fleurs était éclairée par de grands chandeliers bibliques et tapissée de textes hébreux. La nuit s’écoula, l’aurore parut, personne ne monta, et la société fit banqueroute. La salle, vendue par autorité de justice, devint un théâtre. « J’y vis jouer, dit assez plaisamment M. Lyell, le Macbeth de Shakspeare, et je ne pus m’empêcher de rire quand j’entendis dans cette même salle les sorcières et leur reine la déesse Hécate chanter à leur tour à gorge déployée :

« Oui, je suis prête, je suis prête,
« Je vais monter, rien ne m’arrête ! »

Le charlatanisme, la spéculation, l’hypocrisie, viennent, bien entendu, se mêler à ces mœurs et les exploiter. Un prédicant s’établit dans un village, allume les esprits, enflamme les cœurs et fait contribuer les crédules. Chez un grand nombre de prétendus fanatiques, le rigorisme antique est pure simagrée. « Madame, disait gravement un maître d’auberge à mistriss Houstoun, ceci est une maison orthodoxe ;