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en Amérique : charité, — sens droit, — activité. De ces trois forces combinées, pas une qui ne soit indispensable au jeu organique d’un état tel que l’Union : c’est l’amour, l’intelligence et la puissance. Une tradition fière et sympathique, devenue self-government, c’est-à-dire le gouvernement de la société par elle-même, se résout en gouvernement de la province par la province, de la commune par la commune, de la municipalité par la municipalité, de chaque groupe par lui-même, et enfin de l’homme par l’homme. La vraie devise des États-Unis n’est pas chacun pour soi, devise de destruction, mais chacun par soi et pour les autres, devise de création et de sympathie. Rien n’étonne et ne scandalise, je ne dis pas un Américain, mais un paysan de Norwége, de Danemark ou d’Écosse, comme d’apprendre qu’il y a dans les vieux pays romains un pouvoir unitaire qui se charge d’agir pour tout le monde, qui défraie les écoles, paie le clergé, bâtit les ponts, soutient les théâtres, vend le tabac, vend le sel, érige les hôpitaux, entretient des armées de commis pour copier des lettres et des titres de lettres. Ce paysan teuton est bien plus surpris en apprenant que si le gouvernement retirait une fois son secours, chacun se révolterait immédiatement. Il ne comprend rien à deux habitudes qui pèsent sur nous, la fureur de vouloir être gouvernés, jointe à celle de mordre la main qui gouverne.

Cette tradition de liberté dans l’unité, d’ordre dans l’indépendance, n’a pas besoin de lois pour se maintenir en Amérique. Le manufacturier est libre d’employer ou de renvoyer son ouvrier, l’ouvrier d’accepter ou de refuser un prix, le capitaliste de faire de son argent tel usage qu’il lui plaît, l’agriculteur et le marchand de capitaliser leurs gains. L’état, la loi, n’interviennent d’aucune manière ; la loi morale, le ressort intime, sont dans les caractères. Pas d’association forcée et théorique, mais une sympathie de fait et d’habitude, un clubbing anglo-saxon, perpétuel, ineffaçable comme les mœurs, qui régit le pays entier, et sans lequel le gouvernement du peuple par lui-même serait chimère : on s’unit partout et librement pour s’entr’aider. C’est si bien un souvenir de race, une tradition germaine et datant de l’époque des Rachimbourgs et du Wittenagemot, que les Irlandais répandus aux États-Unis ont grand’peine à s’y faire ; leurs habitudes de désordre et d’isolement compromettent souvent les destinées de l’Union. Même parmi les demi-sauvages, qui vont, couverts de peaux et armés d’une hache, défricher les régions les plus éloignées du centre, ce sentiment créateur subsiste ; ils s’associent pour créer, jamais pour détruire. Sans cesse ils reproduisent le phénomène de l’Abeille, que l’on retrouve à l’œuvre sur une grande échelle dans les villes civilisées, à Boston, par exemple, cité des puritains.

En 1841, dit M. Mackay, le vaisseau anglais Britannia, qui portait