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beau pays de l’Europe vit dans une hostilité universelle. Toutes les haines y fermentent avec tous les intérêts ; l’instituteur abhorre le curé, qui jette l’instituteur en enfer ; le meunier regarde d’un œil jaloux le propriétaire de l’usine prochaine, et ce dernier s’anime d’une sourde envie contre le représentant, le cultivateur et le vigneron. Comptez ensuite les élémens disparates et les dissonnances furieuses que nos guerres civiles font hurler et gémir ensemble : près du suzerain auquel la restauration a rendu sa fortune, ce lecteur assidu de Voltaire, propriétaire d’un bien national acheté pendant la révolution ; non loin de lui le général de l’empire, qui coudoie l’avocat de la restauration renversée ; enfin quelque débris de la tourmente révolutionnaire, fidèle à ses croyances de -1793, voisin du jeune adepte des théories communistes, profondément hostiles à l’unité de la démocratie spartiate. Ces couches superposées se repoussent en se touchant ; société composée de haines, concert de vengeances ? Le hameau français ou italien ne sait pas se gouverner. Il n’a pas la science de l’autonomie. Nourri dans un autre berceau, formé d’autres élémens, il porte la vieille empreinte de l’autorité, ou, si l’on veut, de la servitude. Les passions rivales et jalouses y fermentent avec le souvenir des anciens griefs : non que les ames y soient pires tout au contraire, mais les habitudes y sont mauvaises.

Sans la prédisposition morale qui donne la faculté de l’autonomie, les institutions républicaines ne subsisteraient pas deux ans ; même aux États-Unis. C’est le sentiment germanique et chrétien de solidarité active, de communauté réelle, de fraternité intime et un peu sauvage, qui les soutient et les fait vivre. L’Abeille, association volontaire des individus et des familles, marche toujours : après avoir établi l’impôt, elle institue la caisse d’épargne, dont elle fait une banque locale, ce qui est la transformation la plus facile du monde. La banque locale émet des billets qui ont cours dans la localité seule ; elle fait profiter l’argent de chacun, et le laboureur qui a besoin d’acheter un cheval ou une charrue y trouve les fonds nécessaires. Tout le monde étant banquier, personne ne veut détruire l’état. On emploie les cours d’eau qui font mouvoir d’abord des moulins de peu d’importance, où chacun vient apporter son blé à moudre et ses planches à scier, puis de vastes moulins dont la prospérité attire tous les capitaux, même les moins considérables, ceux des veuves, des orphelins et des journaliers : qui oserait brûler ces moulins ? ils appartiennent à tout le monde. Le capital ne s’accumule point comme en France ; l’argent, que l’on aime beaucoup, passe dans des milliers de mains ; les espèces ne dorment jamais, et le gros banquier ne se montre guère. Le ressort universel est la confiance. Rhode-Island, avec une population de cent mille ames, compte soixante-cinq banques ; dont le capital varie de 20,000 à