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bâti leur log-house et qui connaissent le pays, accourent pour saluer les nouveaux débarqués, non pour les saluer seulement, pour les aider. Aucun apparat, nul apprêt, point de tumulte ou de phrases vaines. Le temps est précieux. On ne fait pas de longs discours ; on se contente de la chose du monde la plus simple : on imite les « abeilles » (the bees), on travaille en commun au profit du nouveau venu. Cette fraternité réelle et en action a bientôt porté ses fruits. Le tronc des chênes tombe, on le roule, on le dresse ; la maison s’élève. Il faut un toit à la grange ; une soixantaine de bras y contribuent. La location est achevée. La moisson venue, il s’agit de battre le blé sur l’aire ; les compagnons accourent encore ; l’œuvre d’une semaine se termine en un jour ; ce qui aurait coûté des mois au travailleur solitaire s’accomplit en un clin d’œil. Le nouveau settler rendra aux autres ce qu’il a reçu d’eux ; et s’il en vient encore, les anciens agiront de même envers ces derniers. On emprunte le cheval du voisin et on le rend ; on prête sa charrue et on la réclame ; tout le monde aide tout le monde, et la misère n’atteint personne.

Ces habitudes constituent la vie morale, c’est-à-dire la vie essentielle et fondamentale de l’Amérique. Elles fonctionnent d’abord dans une communauté de cinq ou six log-houses. L’idée de Dieu et le souvenir de la Bible sont présens à tous ces hommes. Saxons et Écossais, Allemands et Hollandais, grossiers si l’on veut, la plupart calvinistes. On n’a pas d’église, il en faut une. Pour bâtir une église avec des bûches (logs), une nouvelle abeille se constitue. Tout le monde, quakers et arminiens, méthodistes et catholiques, met la main à l’œuvre. Cette chaire de bois mal dégrossi sera occupée par les prédicateurs nomades qui traversent le désert. Ce n’est plus seulement une communauté, c’est une communion. La loi sympathique du Christ se fait entendre dans cet édifice rudement construit ; les réunions deviennent fréquentes et régulières. On prie ensemble. Quelques ames en peine ont des scrupules ; le levain calviniste est toujours là, sévère et analytique, rempli de doutes rêveurs, indocile au joug de la pensée ; est-ce bien ainsi qu’on doit prier Dieu ? Les dissidens réclament l’usage de leurs dogmes particuliers et construisent une nouvelle église, qui constitue une nouvelle communauté. La chapelle des quakers brûle, les catholiques ne font aucune difficulté de prêter leur église. De même pour les anabaptistes, à qui l’église presbytérienne est ouverte.


Si nous cherchons à reconnaître quels sont les vrais élémens constitutifs de cette abeille qui vient de fonder sous nos yeux un village américain, nous en trouvons trois : — l’élément chrétien et calviniste, apte à l’association, plein de charité pour le prochain et de sympathie pour ses souffrances ; — l’élément germanique, patient, conquérant,