magnificence et en éclat tout ce qui murmure, tressaille, gémit et pleure dans les ames, dans les voix collectives de la société souffrante. Voilà pourquoi les poésies nouvelles trouvent aujourd’hui le public inattentif et la critique distraite. Il serait injuste pourtant d’ensevelir dans un silence systématique, dans une sorte de linceul préparé d’avance, les recueils de vers qui se succèdent, demandant au moins cette mention rapide qu’on accorde à l’incident le plus vulgaire, au plus chétif vaudeville, à la plus niaise brochure. Est-ce donc trop encore, et la critique n’a-t-elle rien à répondre à ce morituri te salutant, murmuré d’une façon si plaintive ou si résignée ? Nous avons en ce moment sous les yeux les plus récens de ces recueils, et quelques-uns ont droit à un signe de sympathie, j’allais dire de condoléances. Sous ce titre d’une brusquerie modeste : Des Vers, M. Charles Bataille a publié quelques pièces d’une désinvolture juvénile, qui paraissent se rattacher à cette école fantaisiste, un peu bohémienne, greffée sur la première manière d’Alfred de Musset, et dont MM. Murger et Banville sont les coryphées. Les Échos des bords de l’Arve, par M. Jules Vuy, ont des allures plus discrètes. Un souffle de poésie alpestre, tempéré par une certaine réserve genevoise, y circule sans bruit, et rompt çà et là l’uniformité du ton. Les poèmes de Foi et, Patrie, par M. Jules de Francheville, appartiennent à l’école catholique et chevaleresque ; leur orthodoxie nette et précise comme celle de M. Turquéty, n’a rien de cette brume rêveuse, de cette religiosité vague et décevante que garde, chez le maître et chez les disciples, la poésie des Méditations.
Bien qu’un peu monotones, ces poèmes ne manquent ni d’élévation ni de mouvement. Toutefois, les plus remarquables parmi ces nouveaux recueils sont, selon nous, les Nuits d’été, par M. Armand de Flaux, et les Teillées du Tropique, par M. Poirié de Saint-Aurèle. Dans les Nuits d’été, l’imitation des Contes d’Espagne et d’Italie ne prend pas même le soin de se déguiser : c’est bien là l’écho de cette voix amoureuse et cavalière qui a chanté don Paëz et Portia ; mais cette naïveté d’imitateur n’a rien qui déplaise : on comprend qu’un jeune rimeur, amoureux de soleil, d’azur, de sérénades, de tout le joyeux bagage de la poésie méridionale, ait mieux aimé adopter cette forme gracieuse et vive que d’en chercher une qu’il n’eût peut-être pas trouvée, et qui aurait en moins de grace. Mieux vaut le disciple sincère, reflétant une inspiration charmante, que l’ambitieux novateur nous attristant de ses stériles tentatives ; mieux vaut : une jolie chanson sur un air de M. de Musset qu’un orgueilleux dithyrambe sur un air nouveau que personne ne se soucie de chanter. Les Veillées du Tropique, de M. Poirié de Saint-Aurèle, se recommandent par des qualités d’un autre genre. Les beautés sublimes des livres saints et les magnificences de la nature tropicale, telles sont les deux sources auxquelles a puisé l’auteur de ces Veillées. Quelques pièces de son recueil, entre autres Desperatio, l’Hivernage, l’Arbre de Vie, la Veillée des Nègres, ont un éclat de couleur et une vigueur de ton où l’on reconnaît cette double influence des textes sacrés et des paysages transatlantiques.
Chose singulière, pendant que la poésie a ses jours d’adversité et d’abandon, la musique se ressent à peine des anxiétés publiques. D’où vient cette différence ? Faut-il l’attribuer au caractère même de cet art, plus sociable et plus mondain que l’art des vers, et offrant par conséquent aux esprits fatigués ou