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femmes illustres qui rayonnent autour de Louis XIV, et dont il semble que les erreurs même aient quelque chose de majestueux et d’imposant. M. Janin a tiré un excellent parti des ressources que lui offrait son sujet ; il en a disposé les accessoires, les, personnages épisodiques, les seconds plans et les lointains, de manière à en former une sorte d’horizon splendide qui donne à son héroïne quelque chose de sa magnificence et de sa beauté. Même dans cette ville de province, à propos d’un couvent de filles et de controverses théologiques, on respire l’atmosphère d’une grande époque, d’une société élégante, régulière, arrivée à son apogée ; on en reconnaît à distance les proportions et les perspectives, comme on pressent de loin l’approche d’une grande ville par l’aspect que prennent alentour les routes et les édifices.

Là ne se borne pas le mérite de la Religieuse de Toulouse. L’auteur s’y trouvait en face d’une difficulté très grave : admirateur éloquent et persuasif du siècle de Louis XIV, il avait à toucher à ces questions, à ces luttes religieuses, auxquelles nous ne pouvons comprendre aujourd’hui qu’on ait donné tant d’importance, et où les répressions et les rigueurs nous choquent d’autant plus, qu’elles sont également contraires à l’idée que nous nous formons de la liberté de conscience et à ce que nous trouvons de puéril dans les disputes de théologie. C’était là l’écueil du sujet choisi par M. Janin, mais c’est par là aussi qu’il s’agrandissait, et qu’échappant aux conditions du roman ordinaire ou même de l’épisode historique, il se reliait à la marche générale de l’esprit moderne, révolté contre l’autorité, la tradition et la foi, essayant ses forces agressives sur des points d’argumentation avant de les étendre au corps de doctrine tout entier, de passer ensuite du domaine des idées dans celui des faits, et de traduire la guerre philosophique en guerre politique et sociale. Louis XIV ne s’y méprit pas. Personnifiant au plus haut degré le génie de l’autorité, de la régularité et du pouvoir, il devina que ces dissidences, malgré leurs semblans de respect et d’orthodoxie, renfermaient les premiers germes de rébellions plus dangereuses et plus nettes ; il pressentit que ces religieux, qui n’étaient pas encore tout-à-fait des sectaires, auraient pour héritiers des philosophes auxquels succéderaient des révolutionnaires, et que, quand viendraient les époques où tout se dissout, où les sociétés laissent tomber une à une les pièces de leur armure, Arnauld s’appellerait Voltaire, en attendant que Voltaire s’appelât Mirabeau. À ce point de vue, les persécutions de Louis XIV contre les solitaires de Port-Royal et les autres maisons entachées de jansénisme ne nous paraissent plus ni si puériles ni si cruelles. Elles ne sont que le tressaillement prophétique de l’autorité politique et religieuse, prévoyant, au premier choc qui la remue, les coups qui la renverseront.

Ces filiations généalogiques entre les agitations qui nous tourmentent et ces premiers symptômes de révolte, cachés encore dans les replis sacrés de la conscience, jettent un intérêt douloureux sur les luttes du jansénisme. Il y a tant de grandeur morale, d’éloquence austère, d’infatigable génie parmi les héros et les amis des jansénistes, ils eut une si belle part dans les gloires littéraires, guerrières ou mondaines du XVIIe siècle, qu’on ne saurait les condamner sans regret ni sans injustice ; seulement, au lieu de chercher dans leurs titre, à notre admiration et à nos respect un sujet d’attaque ou de satire contre leur souverain, M. Janin a mieux aimé que l’impression générale de son récit fût