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soit soutenu par tous. La prise de Rome par les Français a ôté la papauté à l’Italie, qui n’a pas su la défendre, et l’a rendue à l’Europe.

Quelles que soient les difficultés de la restauration pontificale, le retour du pape à Rome est cependant un dénoûment. En Allemagne, au contraire, le dénoûment est toujours incertain. Le personnage qui en ce moment tient tout en suspens, c’est la Prusse ; mais ce personnage lui-même, que veut-il ? où va-t-il ? Sera-ce un Bartholo qui finit par être dupe, quoiqu’il soit très fin ? Sera-ce un Figaro, qui finit par tromper tout le monde ? Quœrit sapientiam derisor et non invenit : doctrina prudentium facilis. (Proverbes, ch. 14, v. 6.) La politique de la Prusse est profonde peut-être ; mais elle n’est assurément ni simple ni facile. Elle veut en Allemagne l’état fédéral restreint, c’est-à-dire la Prusse agrandie. C’est pour arriver à ce but qu’elle a créé le parlement d’Erfurth ; mais, à peine convoqué, le parlement d’Erfurth a senti que, s’il avait trouvé en Prusse l’occasion de naître, ce n’est pas là cependant qu’il pouvait trouver sa raison d’être : son vrai principe est l’unité allemande et non pas l’agrandissement de la Prusse. Aussi est-ce l’unité de l’Allemagne qu’il a aussitôt cherché à représenter ; la Prusse avait présenté un projet de constitution germanique qui, étant destiné peut-être dans sa pensée à être un prospectus plutôt qu’une loi, contenait l’idée et surtout l’annonce de l’unité germanique. Le parlement d’Erfurth, sans s’occuper des modifications que pouvait recevoir ce projet de constitution et sans s’amuser à le réviser en détail, comme la Prusse croyait qu’il allait le faire, s’y est rattaché avec empressement et l’a adopté, faisant de cet acte la base de ses opérations et le symbole de sa vie et de sa consistance germaniques ; car le point important pour le parlement d’Erfurth, c’est d’être une institution germanique et non une institution prussienne. La Prusse, voyant que le parlement d’Erfurth adoptait son projet de constitution, et, en l’adoptant, lui donnait plus d’efficacité et de portée qu’elle n’avait voulu elle-même lui en donner, la Prusse s’est étonnée, inquiétée de sa propre création, et elle en est aujourd’hui à se demander si elle ne doit pas proroger le parlement d’Erfurth.

En effet, la question révolutionnaire a beau avoir singulièrement reculé et s’être singulièrement rétrécie de Francfort à Erfurth, elle est cependant toujours la même, et c’est cette question qui intimide et qui gêne la Prusse. Faut-il se décider pour ou contre ? D’un côté, la question révolutionnaire semble ouvrir à la Prusse une voie d’agrandissement, et cela tente la Prusse ; mais, si la monarchie et l’ordre allaient perdre tout ce que la Prusse semblerait devoir gagner, le jeu serait détestable. Cela arrête la Prusse. Nous savons bien que le parti qui représente l’unité de l’Allemagne à Erfurth n’est pas un parti révolutionnaire ; mais il ne dépend pas des intentions d’un parti de changer la question qu’ont posée les événemens. Or, la question telle que l’ont posée en Allemagne les événemens de l’année 1848 est de savoir si l’unité de l’Allemagne sera représentée par les princes seulement et leurs mandataires réunis en diète ou en congrès, ou bien par une ou deux chambres plus ou moins électives. Telle est la question qui s’agite en ce moment.

Et il est si vrai que c’est là la question, que l’Autriche vient d’opposer au parlement d’Erfurth l’idée de réunir à Francfort en diète ou en congrès les plénipotentiaires des divers états de l’Allemagne, pour s’entendre sur l’organisation de la