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que nous leur donnons, ils ne voient que le métal que nous allons chercher chez eux, et le métal, or ou argent, est encore aux yeux d’un grand nombre la seule, l’unique richesse d’un pays.

Ces idées absurdes, et les préventions contre l’Europe qui en sont la suite naturelle, doivent tendre nécessairement à disparaître peu à peu. L’Amérique, en s’éclairant, comprendra qu’elle a besoin de l’Europe, comme l’Europe a besoin d’elle. Dieu n’a pas fait les peuples pour s’isoler, mais pour s’entr’aider mutuellement. L’Amérique a ce que nous n’avons pas : les matières premières qui alimentent nos fabriques, et que nos bâtimens vont lui demander ; elle a besoin, en retour, des produits de ces mêmes fabriques, qu’elle ne peut pas créer encore, qu’elle n’aura même pas intérêt à créer de bien long-temps. L’Amérique et l’Europe doivent se tendre la main, si elles veulent prospérer l’une et l’autre. Il est d’ailleurs pour la race espagnole de l’Amérique du Sud un ennemi bien autrement envahisseur, bien autrement redoutable que les hommes de l’Europe : c’est la race anglo-saxonne des États-Unis. Elle vient de s’emparer de la moitié du Mexique ; elle dit déjà tout haut qu’avant trente ans elle sera à Panama, et qui sait si elle s’y arrêtera ? Ce danger vaut la peine que les Hispano-Américains y réfléchissent. S’ils ne se fortifient pas par les immigrations européennes, quelle barrière opposeront-ils aux Anglo-Américains ?

La politique à suivre pour les républiques hispano-américaines peut donc être résumée en quelques mots : prospérité matérielle, progrès intellectuel. Ce double but, que, depuis son émancipation, l’Amérique espagnole ne devrait jamais perdre de vue, elle ne l’atteindra que par le concours des émigrans d’Europe : c’est à elle de voir si elle préfère s’obstiner dans la voie funeste au bout de laquelle l’attend la ruine, ou si elle veut encourager le mouvement d’immigration qui seul peut lui donner la grandeur commerciale aussi bien que l’indépendance politique.


A. DE BOTMILLIAU.