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part dans son discours de ce que l’on marche aujourd’hui à la civilisation par les armes et à la barbarie par les idées. Ce phénomène, qui contredit en apparence les données de la raison, n’est pas sans exemple dans l’histoire. Cela s’est vu à toutes les époques de décadence et d’anarchie. Les Romains n’eurent pas d’autre titre à la conquête du monde grec, ni les barbares du Nord d’autre droit à effacer sous leurs pas le Bas-Empire. N’a-t-il pas fallu que les armées françaises fissent un moment la conquête de l’Europe pour y planter, après 1789, les germes de la nouvelle société ?

Aujourd’hui les peuples qui dégénèrent n’ont plus besoin d’être conquis pour se retremper dans les eaux de la force. Quand le raisonnement tourne parmi eux au sophisme, la liberté de la presse à la licence, et la discussion à la révolte ; quand les bases mêmes de la société sont attaquées ; quand on apprend aux plus humbles comme aux plus grands à faire litière de l’autorité, de la propriété, de la famille, alors la Providence n’appelle plus l’étranger pour étouffer cette nationalité décrépite et pour retrancher par le fer les chairs corrompues. Elle suscite plutôt du sein même de ce peuple, en face de l’anarchie et de la dissolution elle-même, un homme ceint du glaive ou une armée.

Dans les convulsions qui ont suivi les journées de février, c’est l’armée prussienne qui a rétabli l’ordre en Allemagne. L’armée de Windisgraetz a repris Vienne et a sauvé la monarchie autrichienne. En France, l’ordre a disparu en février, lorsque nos régimens abandonnés, à moitié désarmés et ne sachant plus où était le devoir, ont quitté la capitale ; l’ordre a commencé à redevenir possible en avril, le jour où la garde nationale, prenant ses fusils et remplaçant l’armée absente, a vu fuir devant elle le drapeau rouge et les hordes qui opprimaient un fantôme de gouvernement ; enfin, c’est l’armée elle-même qui a porté un coup mortel aux habitudes ainsi qu’à l’ascendant de l’insurrection par la sanglante et glorieuse répression de juin 1848.

L’armée nous préserve et nous soutient ; il ne faut pas croire que ce soit uniquement par la force des armes. Non ; en attendant que l’esprit de gouvernement soit rentré dans les conseils des hommes politiques et que la loi ait repris son empire sur les mœurs de la population, l’armée reste l’image et le boulevard de l’ordre. Elle représente à peu près seule l’idée fondamentale sur laquelle la société repose, l’autorité : elle nous montre seule une société bien ordonnée au milieu de la société en désordre. M. Donoso Cortès a bien raison de parler de la mission du soldat et de la comparer à celle du prêtre, car il n’y a plus guère en ce moment d’autre religion en Europe que la religion dit drapeau.

Qu’on ne touche donc à l’armée que pour la fortifier dans sa constitution,