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mêlée de flatterie[1], il est impossible de ne pas ressentir l’impression que produit dans l’histoire cette figure de roi, calme et fière, sérieuse et douce, attentive et réfléchie, à laquelle l’idée de majesté répond si bien. Il est même impossible de ne pas regretter par momens le blâme sévère que la justice oblige d’associer aux éloges qui lui sont dus, et ces momens ne sont pas ceux où son règne brille de tout ce qui fait la splendeur et la puissance des états, mais ceux où le royaume a perdu sa force et sa prospérité, où le monarque, autrefois comblé de gloire, n’en a plus à espérer que de sa lutte avec le malheur : c’est lorsque, vaincu sur toutes ses frontières par l’Europe coalisée, il prolonge ce combat suprême avec une constance inébranlable, s’oubliant lui-même afin d’épargner au pays les douleurs d’une invasion étrangère, immolant sa fierté et prêt à donner sa vie pour l’indépendance nationale[2] ; c’est aussi lorsqu’au plus fort de ses revers, il voit, sans se laisser abattre, son fils et ses petits-fils mourir autour de lui[3], ou enfin, lorsque, arrivé au dernier terme, il exprime par des mots touchans une admirable fermeté d’ame, un courage sans ostentation qu’il porte jusqu’à l’aveu de ses fautes[4].


AUGUSTIN THIERRY

  1. Ce titre, inscrit d’abord sur quelques médailles frappées en l’honneur du roi, lui fut, en 1680, déféré solennellement par l’hôtel de ville de Paris.
  2. Voyez les événemens du règne, de 1708 à 1713, année de la paix d’Utrecht. — « Cette constance, cette fermeté d’ame, cette égalité extérieure, ce soin toujours le même de tenir tant qu’il pouvoit le timon, cette espérance contre toute espérance, par courage et par sagesse, non par aveuglement, ces dehors du même roi en toutes choses, c’est ce dont peu d’hommes auroient été capables, c’est ce qui auroit pu lui mériter le nom de grand, qui lui avoit été si prématuré. » (Mémoires de Saint-Simon, t. XIII, page 163.) - « Je me suis toujours soumis à la volonté divine, et les maux dont il lui plaît d’affliger mon royaume ne me permettent plus de douter du sacrifice qu’elle demande que je lui fasse de tout ce qui me pourroit être le plus sensible. J’oublie donc ma gloire. » (Lettre de Louis XIV à son ministre en Hollande [29 avril 1709], citée par M. Mignet, Négociations, etc., t. Ier, Introduction, page XCII.) - « Landrecies ne pouvait pas tenir long-temps (juin 1712). Il fut agité dans Versailles si le roi se retirerait à Chambord sur la Loire. Il dit au maréchal d’Harcourt que, au cas d’un nouveau malheur, il convoquerait toute la noblesse de son royaume, qu’il la conduirait à l’ennemi, malgré son âge de soixante et quatorze ans, et qu’il périrait à la tête. » (Voltaire, Siècle de Louis XIV, chap. XII, t. II, page 100 de l’édition Beuchot.)
  3. Louis, dauphin, mort en 1711 ; Louis, duc de Bourgogne, et son fils, Louis, duc de Bretagne, morts en 1712.
  4. Voyez les Mémoires de Saint-Simon, t. XII, pages 483, 485 et 491. — « Louis XIV mourut le ter septembre 1715, trois jours avant qu’il eût soixante-dix-sept ans accomplis. Son règne avait été de soixante et douze ans depuis la mort de Louis XIII, et de cinquante-quatre ans depuis celle de Mazarin. »