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des siècles au lieu de le perfectionner. À côté des états-généraux devenus une institution régulière, d’états particuliers établis au nombre de vingt au moins par une nouvelle division des provinces, de diètes cantonales créées pour l’assiette et la répartition de l’impôt, on trouve dans cette prétendue constitution libre la séparation des ordres rendue plus profonde et de nouvelles distinctions de classes : pour le clergé, une entière indépendance à l’égard du pouvoir civil ; pour la haute noblesse, des prérogatives politiques ; pour le commun des gentilshommes, l’accès par préférence à toutes les charges, le rétablissement des juges d’épée dans les bailliages et leur introduction dans les parlemens ; pour le tiers-état enfin, l’amoindrissement ou la suppression des offices qui, de toute ancienneté, lui étaient dévolus[1]. Et, par le plus étrange contraste à des dispositions qui semblent un démenti donné au progrès traditionnel de la société en France, il s’en joint d’autres dont la générosité devance les temps et la raison à venir : l’impôt, sous toutes ses formes, est étendu à toutes les classes de la nation ; il n’y a plus, à cet égard, ni privilèges pour les deux premiers ordres, ni vexation pour le peuple par l’exploitation des traitans[2].

En dépit des maximes libérales que le duc de Bourgogne et ses amis professaient, et dont ils croyaient de bonne foi que leur œuvre était l’expression[3], ce triste assemblage d’élémens contradictoires, qui

  1. Soutien de la noblesse : toute maison aura un bien substitué, majorasgo d’Espagne. Pour les maisons de haute noblesse, substitutions non petites ; moindres pour médiocre noblesse. — Mésalliances défendues aux deux sexes. — Ennoblissemens défendus, excepté les cas de services signalés rendus à l’état. — Nul duc non pair. On attendrait une place vacante pour en obtenir ; on ne serait admis que dans les états-généraux. Lettres pour marquis, comtes, vicomtes, barons, comme pour ducs. — Justice : le chancelier, chef du tiers-état, devrait avoir un moindre rang, comme autrefois. Préférence des nobles aux roturiers, à mérite égal, pour les places de présidens et de conseillers. Magistrats d’épée, et avec l’épée au lieu de robe, quand on pourra. Point de présidiaux : leurs droits attribués aux bailliages. Rétablir le droit du bailli d’épée pour y exercer sa fonction. Lieutenant général et lieutenant criminel, nobles s’il se peut » (Plans de gouvernement concertés avec le duc de Chevreuse, ibid., pages 590, 591, 592.)
  2. « Établissement d’assiettes qui est une petite assemblée de chaque diocèse, comme en Languedoc, où est l’évêque avec les seigneurs du pays et le tiers-état, qui règle la levée des impôts suivant le cadastre. — Mesurer les impôts sur la richesse naturelle du pays et du commerce qui y fleurit. — Cessation de gabelle, grosses fermes, capitations et dîme royale. Impôts par les états du pays sur les sels, sans gabelle. Plus de financiers. — Les ecclésiastiques doivent contribuer aux charges de l’état par leurs revenus. » (Plans de gouvernement, etc., ibid., pages 579, 580 et 586.)
  3. « Je n’ose achever un grand mot, un mot d’un prince pénétré qu’un roi est fait pour les sujets, et non les sujets pour lui, comme il ne se contraignit pas de le dire en public et jusque dans le salon de Marly. » (Mémoires de Saint-Simon, t. X, p. 212.) - « Fénelon répète sans cesse, dans ses écrits politiques et dans sa correspondance, que tout despotisme est un mauvais gouvernement, que sans libertés nationales il n’y a ni ordre ni justice dans l’état, ni véritable grandeur pour le prince, que le corps de la nation doit avoir part aux affaires publiques. »