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actuel n’était qu’un prélude, qu’elle sentit des choses que les générations postérieures n’ont comprises que par la suite des faits et par l’enseignement de l’histoire, c’est ce que je ne veux point dire ici. Quelque signification qu’il eût alors pour ceux qui en souffraient, l’étrange contraste entre les premières et les dernières années de Louis XIV répondait à l’un de ces momens solennels dans la vie des nations où un grand mouvement social, épuisé dans ses résultats, s’arrête, et où commence un autre mouvement qui, plus ou moins secret, plus ou moins rapide, saisira l’esprit public pour le transformer et entraîner tout vers un avenir inconnu.

Après avoir, avec une logique intrépide, sacrifié toutes ses vieilles institutions à l’agrandissement d’une seule, après avoir laissé abattre l’indépendance des classes d’hommes et des territoires, les droits des provinces et des villes, le pouvoir des états-généraux et le contrôle politique du parlement, la France, parvenue à l’apogée de cette longue révolution, se trouvait en face de l’unité monarchique, mais d’une unité toute personnelle pour ainsi dire, et d’où en théorie l’idée même de nation formant un corps était exclue[1]. Ainsi, l’action des siècles écoulés depuis le douzième, en atteignant son but si régulièrement poursuivi, aboutissait à un régime inacceptable comme définitif pour la raison et le patriotisme, à quelque chose qui, loin de fixer la marche du progrès en politique, n’était qu’une étape, un second point de départ, le commencement de nouveaux efforts. Ce travail nouveau de l’opinion et de la volonté publique devait être, non de rebâtir des ruines, non de toucher à l’unité absolue de l’état, produit spontané de nos instincts sociaux, mais de lui imprimer en quelque sorte, au lieu du sceau royal, le vrai caractère national, de faire que son idée agrandie renfermât, pour les garantir, tous les droits de l’homme et du citoyen[2]. Telle fut l’œuvre à jamais glorieuse du siècle dont la quinzième année termina le règne de Louis XIV, œuvre dans laquelle l’objet fut moins simple et les rôles plus mêlés que dans la première, et qui fut pleine

  1. « La France est un état monarchique dans toute l’étendue de l’expression. Le roi y représente la nation entière, et chaque particulier ne représente qu’un seul individu envers le roi. Par conséquent, toute puissance, toute autorité résident dans les mains du roi, et il ne peut y en avoir d’autres dans le royaume que celles qu’il établit… La nation ne fait pas corps en France, elle réside tout entière dans la personne du roi. « (Manuscrit d’un cours de droit public de la France, composé pour l’instruction du duc de Bourgogne ; citation faite par Lemontey, Œuvres complètes, t. V, p. 15.)
  2. Le premier signe d’une réaction des esprits se manifesta, dans l’année 1690, par la publication de quinze mémoires sur le gouvernement de Louis XIV, imprimés à l’étranger sous ce titre : Les Soupirs de la France esclave qui aspire après sa liberté. L’auteur anonyme dénonce en termes véhémens ce qu’il nomme l’oppression de l’église, de la magistrature, de la noblesse et des villes ; il s’élève contre les doctrines de la monarchie absolue, et réclame, au nom des droits du peuple, la convocation des états-généraux.