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catholique, soit protestante, supériorité acquise au prix de quarante ans de malheurs, et peut-être à l’aide d’un sens plus prompt de la justice et du droit[1]. C’est de la hauteur de ce principe déposé dans la loi et qui subsistait en dépit d’infractions plus ou moins directes, plus ou moins graves, que l’édit de révocation fit tomber le pays sous un régime de violences et de contradictions qui, pour devenir simple ; aboutit à la mort civile des protestans[2]. Tel est le point de vue d’où l’historien doit juger l’acte d’autorité qui fut pour Louis XIV, sinon un crime, du moins la plus grande des fautes. À ce point de vue, ni les idées ni les pratiques des autres états de l’Europe en fait de tolérance civile ne peuvent servir d’excuse à la conduite du roi de France ; la France, depuis un siècle, avait élevé son droit public au-dessus des idées du temps. Quant à la réaction du catholicisme à l’intérieur, on ne peut pas en faire davantage un moyen d’apologie, car elle n’était pas nouvelle, et deux grands ministres avaient su lui résister durant trente ans ; quoique hommes d’église tous les deux, ils s’étaient tenus dans les limites tracées par la bonne foi publique et par la raison d’état[3]. Louis XIV fut pleinement libre de sentir et d’agir comme eux ; sous lui, les protestans n’inspirèrent pas plus de crainte, et la pression de l’intolérance catholique ne devint pas plus embarrassante. Il n’a tenu qu’à lui de laisser les choses dans l’état où il les avait prises, de n’être pas dupe des fausses conversions qu’on provoquait pour lui plaire, de ne pas devenir, sans l’avoir voulu, persécuteur atroce, enfin de ne pas léguer en mourant à la France du XVIIIe siècle tout un code de proscriptions plus odieuses que celles du XVIe[4].

  1. La jurisprudence française fut la première à condamner le principe de l’esclavage, en déclarant libre tout esclave qui mettait le pied dans le royaume. Voyez le Glossaire du droit français, par Laurière, au mot esclave.
  2. Voyez ce que dit Rulhières de la déclaration du 14 mai 1724 et de l’affreuse jurisprudence qui en résulta. Éclaircissemens sur la révocation de l’édit de Nantes, édition Auguis, pages 269, 282, 463 et 481.
  3. « Richelieu maintint scrupuleusement la liberté pour les catholiques de changer de religion, et pour les protestans convertis de retourner à leur ancien culte. Mazarin, sollicité par le clergé de prendre des mesures contre ceux que l’église qualifiait d’apostats et de relaps, ne céda point à ces instances. Il disait en parlant des calvinistes : « Je n’ai point à m’inquiéter du petit troupeau ; s’il broute de mauvaises herbes, du moins il ne s’écarte pas. » Voyez Rulhières, Éclaircissemens historiques sur la révocation de l’édit de Nantes, page 19 et suiv.
  4. Conférez les Éclaircissemens de Rulhières sur la révocation de l’édit de Nantes avec le t. Il de l’Histoire de madame de Maintenon, par M. le duc de Noailles. — « L’une des premières pensées du régent fut de retirer tous les édits de Louis XIV contre les protestans ; mais la violence même des faits accomplis parut opposer à cette mesure un, obstacle insurmontable. « Le régent me parla à ce propos de toutes les contradictions et de toutes les difficultés dont les édits et déclarations du feu roi sur les huguenots étoient remplis, sur lesquels on ne pouvoit statuer par impossibilité de les concilier, et d’autre part de les exécuter à l’égard de leurs mariages, testamens, etc… De la plainte de ces embarras, le régent vint à celle de la cruauté avec laquelle le feu roi avoit traité les huguenots, à la faute même de la révocation de l’édit de Nantes, au préjudice immense que l’état en avoit souffert et en souffroit encore dans sa dépopulation, dans son commerce, dans la haine que ce traitement avoit allumée chez tous les protestans de l’Europe… Le régent se mit sur les réflexions de l’état ruiné où le roi avoit réduit et laissé la France, et de là sur celles du gain du peuple, d’arts, d’argent et de commerce qu’elle feroit en un moment par le rappel si désiré des huguenots dans leur patrie, et finalement me le proposa. » (Mémoires de Saint-Simon, t. XIV, page 153 et suiv.)