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la guerre d’Allemagne ; toutes les conquêtes faites durant cette guerre de neuf ans furent rendues par le traité de Riswick, celle, entre autres, qui donnait à la France sa frontière naturelle des Alpes[1]. Enfin, dans la crise amenée par l’extinction de la maison royale d’Espagne[2], Louis XIV, ayant à choisir, aima mieux les chances d’une couronne pour, son petit-fils qu’un agrandissement de ses états consenti par l’Europe. Sa gloire personnelle et sa famille, voilà le double intérêt qu’il poursuivit de plus en plus aux dépens des intérêts nationaux, en brisant tout le système des anciennes alliances, en faisant quitter à la France le rôle de gardienne du droit public et de protectrice des petits états, pour la rendre aux yeux des peuples un objet de crainte et de haine, comme l’Espagne de Philippe II[3].

Cette fatale guerre de Hollande, qui commença le naufrage de la politique de Richelieu, frappa du même coup le système financier de Colbert et faussa toutes ses mesures. Il lui fut impossible de pourvoir pendant six ans aux dépenses d’une lutte armée contre l’Europe sans se départir de l’ordre admirable qu’il avait créé, sans retourner aux expédiées de ses devanciers et sans compromettre les nouveaux élémens de prospérité intérieure. De 1672 à 1678, tout fut arrêté ou recula en fait d’améliorations économiques ; et quand la paix fut venue, quand il s’agit de réparer les pertes et de recommencer le progrès, la pensée et la faveur du roi avaient cessé d’être avec Colbert. Un homme doué d’un génie spécial pour l’administration militaire, mais esprit étroit, ame égoïste, flatteur sans mesure, conseiller dangereux et détestable politique, le marquis de Louvois, s’était emparé de Louis XIV en servant et en excitant sa passion de gloire et de conquêtes. Cette confiance sans bornes qui avait fait du contrôleur-général des finances presque un premier ministre se retira de lui, et c’est au secrétaire d’état de la guerre que fut transportée, avec les bonnes graces du roi, la prépondérance dans le conseil. Réduit dès-lors à la tâche ingrate d’opposer la voix de la raison à un parti pris d’orgueil, de violence et d’envahissement au dehors, de garder le trésor appauvri contre des demandes toujours croissantes pour les fêtes, les bâtimens de plaisance, l’état militaire en pleine paix, Colbert fléchit par degrés sous la fatigue de cette lutte sans fruit et sans espoir. On le vit triste et on l’entendit soupirer à son ancienne heure de joie, à l’heure de s’asseoir pour le

  1. Le traité de Riswick fut signé le 20 septembre 1697. La Savoie et Nice avaient été occupées par suite de l’adhésion du duc Victor-Amédée à la ligue d’Augsbourg.
  2. A la mort de Charles II, en 1700.
  3. Louis XIV eut l’ambition d’être élu empereur ou de faire nommer son fils roi des Romains. Il négocia dans cette vue avec plusieurs des princes d’Allemagne ; des traités secrets furent conclus par lui, en 1670 avec l’électeur de Bavière, en 1679 avec l’électeur de Brandebourg, et dans la même année avec l’électeur de Saxe. Voyez sur ces négociations une notice de Lemontey, dans ses œuvres, t. V, p. 223 et suiv.